Néo-tantrisme vs Tantrisme. Entre modernité et tradition
Vidéos
Annuaire
Retour

Néo-tantrisme vs Tantrisme. Entre modernité et tradition



En Occident, lorsque l’on parle de « tantra », on évoque souvent à notre insu le « néo-tantra », un mouvement contemporain mettant davantage l’accent sur la « sexualité sacrée » que ne le fait la tradition tantrique des origines.





Le mot « tantra » signifie à la fois « règle », « méthode », « traité » en sanskrit et se réfère à des textes qui « traitent » de pratiques spirituelles et d’initiations spécifiques. Au fil des âges, le terme a fini par englober un système mystique complexe, l'un des plus anciens de la planète, celui du tantrisme shivaïte du Cachemire (il aurait plus de 7.000 ans). Son aspect mystérieux est dû à son difficile décryptage et sa pratique nécessite une immense rigueur ascétique.

A côté de cette philosophie antique, transmise de maître à disciple, on trouve des variantes occidentalisées qui, parfois, s’éloignent complètement de l’essence ancestrale. Quelles sont les différences essentielles entre ces tantras des origines et le néo-tantra occidental qui a émergé ces dernières décennies ? Voici 5 éléments de réponse :

1. Le tantrisme ne se focalise pas sur la sexualité

Les tantras classiques n’enseignent aucune pratique sexuelle. Même si quelques passages des écrits traditionnels traitent de l'énergie sexuelle, les exercices proposés sont simplement visualisés et rarement pratiqués (ou alors une seule fois en guise d’initiation, après de nombreuses années d’études). Le néo-tantra contemporain, quant à lui, est presque exclusivement focalisé sur l’intégration et le renforcement de l’énergie sexuelle, la transmutation des orgasmes ou encore le massage tantrique. Il n'y a évidemment rien de mal à explorer la sexualité en utilisant des méthodes néo-tantriques, cela peut même être thérapeutique et permettre le retour vers un certain équilibre, mais il faut savoir que la majorité de ces pratiques n’a aucun lien direct avec les tantras des origines.

2. Écritures traditionnelles et livres modernes

Il y a des milliers de tantras, chacun représentant une voie différente qui aurait été « divinement révélée ». Un pratiquant se familiarise en général avec un seul tantra ou texte sacré et l’approfondit au fil des années. Ce « traité » est considéré par l’aspirant comme un véritable « écrit saint » et est donc au coeur de la tradition tantrique.
A l’inverse, il est fréquent que les praticiens modernes du néo-tantrisme n’aient jamais lu de tels textes. Même les livres modernes de néo-tantrisme contiennent rarement des extraits de sources originelles, telles que les tantras eux-mêmes. Par exemple, la bibliographie de Diana Richardson, l’auteure des célèbres « The Heart of Tantric Sex » (non traduit) ou encore « Slow Sex » (Ed. Almasta), ne cite aucune source avant les années ‘70 et repose en grande partie sur les travaux d’Osho Rajneesh1.
Par ailleurs, dans les ouvrages de néo-tantrisme, il n’est pas rare que les auteurs mélangent plusieurs traditions, ce qui est commun dans la littérature « new age » : dynamique du yin et du yang propre au taoïsme, éveil de l'énergie « kundalini » et activation des chakras propres à l'hindouisme ou encore la réalisation de la voie de la compassion propre à la tradition bouddhiste du Mahayana



3. L’aide d’un enseignant

Le recours à un « guru » (« maître », « professeur » en sanskrit) dans les écoles tantriques est appelé « guruparamparā » et est de la plus haute importance. On dit qu’un tel enseignant est absolument nécessaire parce que les tantras utilisent le « sāṃdhyābhāṣā » (traduit comme «langage crépusculaire») qui est incompréhensible pour les non-initiés. Sans aide, le pratiquant peut se perdre en essayant de déchiffrer le symbolisme des tantras et même s’éloigner de la voie spirituelle recherchée.
Traditionnellement, un tel enseignant ne demande pas d’argent pour ses enseignements, ce qui est plutôt rare en Occident avec de nombreux gurus autoproclamés…

4. Une pratique spirituelle avant tout

Le but ultime du tantrisme est l'union avec l’Absolu. Ramakantha, un érudit tantrique du 10ème siècle écrit : « Un tantra est un enseignement divinement révélé, expliquant ce qui est nécessaire et ce qui est un obstacle à l'union avec l’Absolu ».
Dans les tantras, les pratiques spirituelles sont appelées « sādhanā » et aident l'aspirant dans sa quête de l'éveil spirituel. Le « maïthuna » («union sexuelle» dans un contexte spirituel) est seulement l'une des très nombreuses méthodes spirituelles et reste très contestée par de nombreux « gurus ». La « sādhanā » plus commune comprend des prières, des hymnes de dévotion, des mantras, la pratique du yoga et de la méditation, des exercices de visualisation, des pūjās (offrandes aux divinités), l'utilisation rituelle des mandalas, de la danse ou de la musique.



5. Importance des visualisations

Les tantras des origines sont très focalisés sur les techniques de visualisation. Par la visualisation correcte, l'aspirant intègre les qualités de l’objet de visualisation (un mandala, une représentation de divinité, …). C’est une pratique centrale dans les enseignements tantriques du bouddhisme tibétain.
Cet aspect, par contre, est beaucoup moins présent, voire absent, dans les pratiques propres au néo-tantrisme occidental. A NOTER : dans la branche tantrique nonduelle, qui enseigne la « voie directe », l’aspirant abandonne tout effort et laisse le concept même de « visualisation » se résorber dans le Regard lui-même — afin de réaliser sa nature véritable en tant que « Soi » — non-espace éternel de pure conscience...
Il y a encore d’autres différences notables, mais ce bref aperçu permet de replacer le cadre du tantra traditionnel par rapport aux pratiques modernes. Cela ne signifie pas que les participants d’un atelier ou d’une formation en néo-tantra ne vivront pas des éveils de conscience ou n’obtiendront pas de précieux outils sur leur chemin de vie. Simplement que les formes contemporaines occidentalisées sont souvent très éloignées de l’essence de la tradition tantrique.

Olivier Desurmont

1 Rajneesh Chandra Mohan Jain (1931-1990), plus connu dans les années ‘80 sous le nom d’Osho, est un guru indien iconoclaste et très controversé. Son attitude particulièrement permissive à l'égard de la sexualité et les conseils qu'il donnait à ses adeptes à cet égard lui ont valu aux États-Unis le surnom de « sex guru ».

RÉFÉRENCES :
Le Tantra de la reconnaissance de soi de D. Dubois chez Almora
• L'expérience du Tantra d’Osho chez Almasta
• articles de D. Odier (cles.com) & aristocratsofthesoul.com



Paru dans l'Agenda Plus N° 279 de Juillet 2016
Retour