Adolescence Nul besoin de s’opposer pour s’affirmer
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Adolescence Nul besoin de s’opposer pour s’affirmer



Et si « adolescence » ne rimait pas forcément avec « crise » ? Entre l’enfance et l’âge adulte, on peut aussi grandir dans une relative sérénité. Les ados d’aujourd’hui en sont souvent les silencieux témoins, même si leurs parents s’attendent parfois au pire !



La logique voudrait que l'adolescence ait toujours existé. Mais « être jeune » n'a pas toujours signifié la même chose au fil des âges ; il n'est même pas sûr que cela ait toujours signifié quelque chose. La notion de jeunesse s'est construite socialement et la découverte, puis la mise en valeur de l'adolescence, sont relativement récentes.
Dans les sociétés dites « primitives », il n'y a pas d'adolescence. Ces systèmes traditionnels formalisent le passage de l'enfance à l'âge adulte au moment de la puberté, à travers un rite, une épreuve et/ou une cérémonie, qui engage directement le jeune dans ses responsabilités. Parfois, le jeune est mis à l'écart pendant une courte période. Le rite est un symbole, la séparation est un deuil : « l'enfant est mort, l'adulte est né. »

Le Moyen Âge et le début des Temps Modernes n'auraient reconnu aucune spécificité à l'adolescence et à la jeunesse. Ainsi, aux environs de 7 ans, les enfants sont quasiment confondus avec les adultes. L'autorité parentale reste cependant de mise : les enfants sont sous l'autorité du père jusqu'à 12 ans, les garçons sont ensuite « conduits au Seigneur ». Plus tard, ils se regroupent en milices (groupes armés qui secondaient l'armée jusqu'au XVIIIème siècle) ou en confréries. En ce qui concerne les filles, la majorité est fixée à 15 ans et s'accompagne de nombreux rites de passage qui sont proches des transformations physiologiques de la puberté.
Du XVII au XIXème siècle, l'émergence de la notion d'adolescence coïncide avec le déclin du patriarcat et la Révolution Industrielle. Cette dernière accélère l’exode des campagnes et provoque un trop-plein de main-d’oeuvre. Femmes, hommes, enfants se pressent vers les industries pour s’y procurer quelque revenu d’existence. Il faut éliminer une fraction de cette population trop active : les enfants et les adolescents sont tout désignés. Cette population juvénile est donc réorientée vers ces « nouvelles casernes » que sont les écoles (obligatoires) et les collèges. Les adolescents font ainsi leur apparition, avec de rigoureux classements d’âge épousant les classes d’étude, pour être plongés dans cette culture scolaire qui ne les lâchera plus. En somme, sans collégiens, pas d’adolescents ! Ce qui fait globalement de l’adolescence un privilège des Temps Modernes et des sociétés riches pouvant se permettre d’offrir une « instruction » aux enfants.

Au XIXème siècle, médecins et pédagogues voient dans l'adolescence une période particulièrement critique, liée à la puberté. Un âge « bâtard », « gauche », « ingrat » aussi bien physiquement que moralement. Le XIXème siècle invente l'expression de « crise de l'adolescence ». Les phobies qu'elle suscite sont d'ailleurs à l'image des hantises de l'ordre bourgeois de l’époque : explosion de la sexualité, peur des « amitiés particulières » chez les garçons, de l'hystérie féminine, des révoltes et des « insubordinations lycéennes ».
Dans les milieux éducatifs, les « Manuels de maîtres d'études » regorgent de recommandations appelant à la plus grande vigilance pour « canaliser les mutineries et les influences néfastes des jeunes gens corrompus et corrupteurs ». Tout est dit.

Culture et mise en scène de soi

Il faudra plusieurs décennies pour qu’apparaisse, aux États-Unis, une culture authentiquement adolescente. Celle-ci doit beaucoup à deux grandes figures légendaires : Elvis Presley et James Dean. Elle est redevable à cette nouvelle musique rythmée, le rock & roll, et à un nouveau cinéma pour adolescents, dans lequel la nouvelle génération peut se projeter et s’identifier. L’une et l’autre se caractérisent par un côté rebelle et anti-autoritaire très prononcé. Cette culture nouvelle est en effet, à l’origine, une culture d’opposition. Elle s’oppose au monde adulte et à ses valeurs jugées « has been », « ringard », « vieux jeu » ou « dépassé », selon le contexte.
Au fil du temps, les adolescents ayant acquis les libertés réclamées vont s’installer dans leur monde, au point de manifester de nos jours un relatif désintérêt pour celui des adultes. La culture des ainés ne gêne plus la culture adolescente, elle l’indiffère.

Cette culture adolescente est imprégnée de goûts et de pratiques récréatives tout à fait spécifiques. L’adolescence serait en quelque sorte une « mise en scène de soi », avec un langage où « verlan », argot, mots réinventés ou venus d’ailleurs dominent largement.
« C’est un truc de ouf cette teuf, c’est trop de la balle la zicmu, j’kiffe à fond ! » (« C’est trop bien cette fête, la musique est géniale, j’adore vraiment ! »). Voilà une première et solide empreinte identitaire !



La parure, avec la place centrale occupée par le vêtement, en est une seconde, plus distinctive encore. La préoccupation du paraître, dans une société qui se veut d’abord d’apparences, est, en effet, essentielle. Le vêtement permet d’affirmer la virilité pour les uns, la féminité pour les autres ou encore l’appartenance à une classe sociale spécifique au travers des « marques » et donc de la valeur de ce que l’on porte. Aujourd’hui, tatouages et autres piercings viennent également transformer ce corps pubère que les ados veulent souvent séducteur. Ainsi « marqués », les adolescents peuvent, MP3 en poche diffusant la musique de leur choix, s’adonner à toutes les activités sportives et artistiques qui les passionnent : basket, roller, tags et graffs. Ils peuvent naviguer à leur gré sur Internet, devenu en quelque sorte leur lieu de confidence et leur fenêtre portable sur le monde.

« Crise d’ado » : la fin d’un mythe ?

Mais au-delà d’une culture propre et d’une identité qui se cherche, l’adolescence nous est bien souvent présentée comme un temps de tumultes, d'opposition, de mal-être et de souffrance. Drogué, suicidaire, anorexique, révolté, déprimé, l'adolescent serait tout ou partie de cela. Or, bien que ce soit quelquefois vrai, la plupart des adolescents vivent bien, voire très bien cette période de leur vie.
« Moi, j’suis plutôt cool et je n’ai pas de problème. Parfois ça coince un peu avec ma mère, mais bon, j’ai mes potes, c’est pas la mort, quoi ! » Benjamin, 16 ans, va bien, comme la plupart de ses amis. Quelques boutons, un peu de mal avec les filles, mais une vie somme toute équilibrée, avec ses hauts et ses bas, bien ancrée dans son temps. Entre jeux en ligne et SMS illimités pour communiquer avec ses potes, il ne se sent pas en crise.

Pour Valentine, 15 ans, même bilan : « J’ai quelques amies qui vont mal de temps en temps, qui ont des angoisses, des trucs comme ça, mais franchement, on s’éclate plutôt bien. Et puis, mes parents sont sympas, je fais même souvent la fête avec eux et leurs amis ! On parle beaucoup, ils me font confiance et me laissent vivre ma vie. La crise d’ado ? Non, je ne sais pas, on n’en parle pas, je ne crois pas être en crise (hi hi hi) !? »

Des exceptions, ces ados qui ne connaissent pas la crise ? Non, au contraire, une large majorité. On estime en effet que « seulement » 15 % des adolescents vont mal. Un chiffre que Michel Fize, sociologue connu pour ses travaux sur l’adolescence et auteur des excellentissimes « Antimanuel d’adolescence » et « Manuel illustré à l’usage des adolescents qui ont des parents difficiles » (voir « Références » en fin d’article), commente : « Les 15 % dont nous parlent les médecins et les psychiatres, c’est le cortège de ceux qui consultent pour les pathologies qu’on connaît bien — anorexie, boulimie, dépressions et tentatives de suicide — qu’il ne s’agit bien évidemment pas de minimiser. Mais ceux qui nous disent que 15 % vont très mal sont également ceux qui nous disent que les 85 % qui restent vont connaître une crise d’adolescence. Ils sont dans un état d’esprit qui consiste à dire que la normalité est du côté de la crise. Ce à quoi il faut leur répondre avec obstination que lorsqu’il est question de crise dans n’importe quel autre domaine, c’est le symptôme d’un dysfonctionnement, d’une pathologie : ne parle-t-on pas de crise financière ou économique ? (…) La réalité, c’est que l’on a hérité de la psychanalyse un discours pessimiste, dont même les grands tenants de cette approche s’écartent un peu aujourd’hui. D’ailleurs, je ne connais plus aucun psychiatre, psychanalyste ou psychologue qui ose, en tout cas verbalement, parler de crise d’adolescence. »

Cette fameuse crise d’adolescence ne seraitelle dès lors qu’une pure vue de l’esprit ? Alain Braconnier, psychiatre spécialiste de l’adolescent et du jeune adulte, auteur de l’ouvrage « Être parent aujourd’hui — amour, bon sens, logique » (Odile Jabob, 2012), nuance les propos de Michel Fize, sans les démentir. Il explique que la notion de « crise » est un peu passe-partout. Même si, effectivement, 10 à 15 % des adolescents sont vraiment en grande souffrance — ils ne sont d’ailleurs pas forcément beaucoup plus nombreux que par le passé, mais on les repère mieux et on en parle davantage —, il y a une majorité d’adolescents qui vont plutôt bien et qui n’ont aucune raison de consulter un psy. Il précise également qu’il y a un groupe intermédiaire, un peu sur le fil, dont les représentants sont probablement plus nombreux que par le passé. Ces derniers ne vont pas mal, les parents ne devraient donc pas être trop inquiets pour eux, mais on sent que leur équilibre peut se jouer à peu de chose. Ce sont plutôt des filles et des garçons qui vont, selon les moments, plus ou moins bien, qui sont entrés dans une sorte de « processus » (terme préféré par Alain Braconnier à celui de « crise ») où ils ont des difficultés à voir un chemin qui se trace pour l’avenir. Ce groupe-là est celui pour lequel les actes de prévention sont les plus importants, car leur éventuel mal-être est difficile à mesurer.

Alain Braconnier précise également aux parents d’ados qu’« il faut vraiment raisonner avec bon sens : ni trop s’inquiéter, ni laisser trop traîner les choses. Ce qui doit alarmer les parents, c’est leur propre intuition, qui est le meilleur juge dans un premier temps, le sentiment éventuel qu’ils ne peuvent plus faire face aux difficultés de leur ado. Mais il n’y a pas de repère objectif, sauf la répétition de conduites à risque. La consommation de drogue ou d’alcool, l’absentéisme scolaire nécessitent une prise en charge quand ils se multiplient, s’associent et durent. »

Une vision pessimiste des ados


Le dernier baromètre « Bien-être des adolescents », réalisé par Ipsos Santé pour la Fondation Pfizer1, révèle que les adultes ont souvent une vision pessimiste et erronée du mal-être des adolescents : 74 % d’entre eux pensent que les ados sont mal dans leur peau, alors que 25 % seulement des ados concernés expriment une telle opinion ! Philippe Jeammet, psychiatre, psychanalyste et président de cette fondation, commente ainsi ce résultat : « Une bonne partie des adultes qui sont des acteurs de leur vie ont le sentiment de ne plus avoir de pouvoir, que l’avenir leur échappe. Ce sentiment d’impuissance est parfaitement insupportable. Afin de contrebalancer une telle sensation, les adultes auront tendance à prendre paradoxalement une position négative et à renvoyer ce miroir défaitiste aux adolescents. »

Ce défaitisme ambiant et nocif pour nos adolescents est largement décrié par plusieurs auteurs et chercheurs. Comme se plaisait à l’écrire Khalil Gibran dans son oeuvre poétique « Le Prophète » : « Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même. Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas (…) ». Les enfants n’appartiennent, en effet, qu’à euxmêmes et les parents n’ont pas un « pouvoir à exercer » sur eux mais une « mission à accomplir », ce qui est tout à fait différent.
Le parent « idéal » d’adolescent serait celui qui endosserait au mieux la figure équilibrée, stable et épanouie de l’adulte, mais pas celle de l’adulte tout-puissant qui incarnerait une prétendue maturité liée à sa supériorité d’âge. L’adulte équilibré est un adulte modeste, capable d’une grande humilité, prêt à reconnaître que son ado possède des savoirs que lui n’a pas (ce qui est souvent le cas ! cf le web !). Mais les parents peinent à se débarrasser de leur costume de parents, imprégnés par la croyance que l’éducation des enfants se doit d’être (un peu) autoritaire, tout comme ils ont parfois de la difficulté à s’instituer comme individu en face d’un autre individu à part entière.
Et puis, chaque ado est bien souvent le miroir involontaire de ses parents. Miroir grossissant qui renvoie à papa et maman une image (parfois insupportable et inconsciente !) de luimême.



Un avenir à inventer ensemble

Finalement, le concept d’adolescence évolue constamment et les ados d’aujourd’hui sont forcément différents de ceux des générations précédentes. Depuis leur plus tendre enfance, ils bénéficient, en effet, de moyens de communication et d’information beaucoup plus importants. Ils ont un accès démultiplié aux savoirs, aux informations, à la consommation. Cela crée une génération probablement beaucoup plus ouverte et plus curieuse, mais beaucoup plus exigeante et demandeuse aussi. Et puis la famille s’est transformée, les repères familiaux et les valeurs véhiculées sont beaucoup moins stables, moins clairs. Être parent d’adolescent aujourd’hui est sans doute plus compliqué qu’auparavant parce que les modèles ancestraux ne tiennent plus dans une société en profonde mutation. Il faut inventer de nouvelles modalités de communication dans un monde à l’avenir flou et incertain.
Les ados ne veulent plus être des enfants — et ce, de plus en plus tôt — parce qu’ils sont mieux informés, qu’ils ont plus de maturité et que l’on communique davantage avec eux dès l’enfance. En même temps et paradoxalement, ils semblent parfois dépourvus de repères solides pour cheminer en confiance vers l’âge adulte. Or, qu’est-ce que devenir adulte ? C’est apprendre à s’engager dans sa vie affective, familiale, professionnelle et dans la société où l’on vit. C’est apprendre à incarner de belles valeurs de vie et les transmettre avec passion. C’est aussi apprendre à aimer et, surtout, à s’aimer. Quoi de plus beau à offrir à nos enfants, dès leur plus jeune âge, et à nos adolescents en période de chrysalide ?

Olivier Desurmont

1 1 807 jeunes de 15 ans à 18 ans et 822 adultes de 25 ans et plus ont été interrogés pour les besoins de cette étude.

RÉFÉRENCES :
« Antimanuel d’adolescence » de Michel Fize aux Éditions de l’Homme • « L’adolescence pour les nuls » de M. Fize aux Éditions First
• « L’adolescent est une personne… normale » de M. Fize aux Éditions Pocket
• « Manuel illustré à l’usage des adolescents qui ont des parents difficiles » de M. Fize aux Éditions du temps
• article de Anne-Claire Thérizols (le-cercle-psy.scienceshumaines.com)
• tpeadolescence. e-monsite.com



Paru dans l'Agenda Plus N° 279 de Juillet 2016
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