Etre plus... avec les autres
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Etre plus... avec les autres



Et si la condition d’un changement social, écologique, planétaire, collectif, était d’abord affaire de changement personnel ? Et si une présence consciente à l’autre constituait la vraie révolution ?



Il est une question que l’on se pose, sous des formes différentes, tout au long de la vie. Elle est toute simple : « Que vais-je apporter à la communauté ? », « Comment participer ? » et conjointement : « Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ?». On voudrait trouver la bonne réponse. On la trouve parfois. Et parfois, il faut tâtonner. Rien n’est facile dès que se pose la question de la relation aux autres.
Et c’est de cela qu’il s’agit. D’autres questions se déclinent autour du lien à autrui et à l’humanité. « Comment contribuer au monde ? », « Comment contribuer au mieux ? », « Quelle est ma relation à la communauté ? », « Qu’est-ce que je fais pour la communauté? » et « Est-ce que je fais quelque chose ? ».
Au travers de ces déclinaisons, un fil se tisse... et ce fil, on s’aperçoit peu à peu, dans la maturité bien souvent, que c’est l’amour. N’ayons pas peur du mot. Car l’amour est constitutif même de l’identité humaine. L’amour fait que l’être humain est capable de gratuité totale, de désintérêt, de don. Car finalement se pose la question du don : « Que puis-je donner aux autres ? » et surtout « Comment donner ? ». Question éthique que celle-là. Pour rappel, l’éthique est une discipline philosophique qui réfléchit sur la morale, sur les finalités, sur les valeurs de l'existence, sur les conditions d'une vie heureuse, sur la notion de bien.

L’un à côté de l’autre

Oui, qu’est-ce qui est bien ? C’est peut-être tout simplement de donner au mieux, le mieux possible, ce que l’on a reçu au départ. Car au départ, chacun reçoit quelque chose. Des qualités, des dons, des goûts, des caractéristiques. Et l’un sera heureux en plantant des choux, alors que l’autre rayonnera en écrivant des articles. Dommage qu’on hiérarchise encore beaucoup trop ces différentes modalités de réalisation de soi. Alors qu’au regard de la vie et de la mort, chacun contribue au monde de façon égale. On n’est pas mieux loti si on écrit que si on plante... ni mieux loti si on plante que si on écrit.
Comme il serait sage de se rappeler l’inanité de toute hiérarchisation. Comme il serait sage de considérer que celui qui sert dans l’ombre a une valeur identique à celui qui a la fonction de chef. Mais voilà, il se fait que l’on est encore dans la compétition. Que tout pousse à la compétition. Tout vraiment ? Non, pas tout. L’entraide, la participation, la coopération existent, elles aussi, à côté de la compétition.

Partager par le SEL

La belle formule « penser mondialement, agir localement » est inspirante pour un nombre de plus en plus important de personnes.
Participer à un SEL (un exemple de solidarités parmi tant d’autres !) peut être une des nouvelles façons de s’entraider « localement ». Rappelons que SEL est l’abréviation pour désigner un Système d'Echange Local. Les membres du SEL échangent entre eux des services non professionnels, des compétences, du savoir, des biens. Par exemple, Sabine, branchée en informatique peut proposer son aide à Alain pour mettre au point un blog et Alain qui sait bien manier la foreuse proposera son aide à une autre personne. Le SEL n’est pas un système de troc parce que si Sabine aide Alain, ce n'est pas nécessairement Alain qui va aider Sabine. Il existe, pour la gestion de ces échanges, une unité d'échange symbolique qui représente une heure.

Louane, 56 ans, formatrice en communication, témoigne de son cheminement allant de l’individualisme à la coopération par le bais de sa participation à un SEL : « Farouchement individualiste, je me suis habituée à ne compter que sur moi-même, même s’il m’en coûtait. Mais il y a six ans, j’ai eu envie d’essayer autre chose et je me suis inscrite au SEL. Cette participation au SEL m’enrichit beaucoup des personnes que je rencontre, des aides que je reçois, tout autant que je donne. Je voudrais souligner que, pour qu’un SEL soit dynamique, il est nécessaire de le faire fructifier en donnant aux membres l’opportunité de mieux se connaître, en proposant quelques occasions de rencontres, par exemple : un apéro, un barbecue, une promenade. Tout est basé sur la relation. Je reste individualiste, mais maintenant je coopère avec les autres... ».

La grande bifurcation

Dans une société de plus en plus difficile à vivre, la nécessité de la solidarité advient peu à peu... et adviendra de plus en plus ! « C’est une utopie, s’écrieront certains, le monde est dévasté de violence, de pollution, d’inégalités criantes. La barbarie, signe manifeste de faillite civilisationnelle, est partout présente ». Oui, c’est vrai. Nous sommes, comme le dit le prix Nobel Prigogine, à cette phase de « la grande bifurcation ». Mais il est possible qu’elle prenne de nombreuses années avant de s’accomplir réellement. Selon Jacques Attali, le chaos se développera encore davantage jusqu’à une dégradation générale intenable. Alors seulement pourrait advenir une période de construction d’un monde rendu à l’humain, écologique et solidaire. Et cette construction ne peut se faire qu’à partir de fondations que certains s’attellent dès maintenant à mettre en oeuvre.
Nous sommes sans conteste tout à fait à l’aube de cette bifurcation. Et c’est à nous de l’accompagner dans son aspect régénérateur. L’une des façons prioritaires pour y contribuer, c’est de développer la conscience de former une famille terrienne. C’est cette métamorphose qui est à l’oeuvre. Et qui dit métamorphose dit convulsions qui se traduisent notamment par la montée des intégrismes et des replis identitaires crispés.



Etre

Les supports de connexion, les blogs, les wikis et Internet mettent en oeuvre des systèmes de plus en plus sociaux, interactifs et participatifs. Ils contribuent et contribueront de plus en plus au changement de civilisation.
Car le temps appelle à changer. Et ce changement est d’abord et avant tout un changement de regard sur soi et les autres. Sur soi avec les autres. Il ne s’agit plus seulement de profiter et de jouir. Mais de faire grandir sa capacité à prendre conscience de ce que signifie le verbe être. Oui, être, tout simplement. Autrement dit, il s’agit d’habiter le monde par une présence consciente. Ça change tout. Dès que l’on porte son attention sur ce que l’on vit, sur comment on le vit, sur la qualité de ce que l’on vit, sur d’où l’on perçoit, tout change. Tout change dès que l’on est attentif à la présence consciente avec laquelle on vit les choses. Absolument tout. Tout change parce que c’est question de vie. On sent que la vie est. Elle est partout, elle relie tout.
La vie est la seule chose que nous partageons réellement, pleinement, égalitairement. Là est la vraie égalité. Que l’on soit africain, asiatique ou occidental, que l’on soit femme, homme, ou trans, que l’on soit pauvre ou riche, on est traversé par la vie et on est sur Terre. Personne ne possède la vie car la vie n’est pas une possession. Elle est de l’ordre de l’être justement et donc de la gratuité totale. Elle nous est donnée. Nous partageons la vie qui relie les plantes, les animaux, les êtres humains, l’espace. Elle vaut qu’on la soigne ensemble d’un amour attentif et prévenant. On en revient toujours à l’amour, finalement. Et donc à la conscience d’être relié et interdépendant.

Engager sa capacité à être

« Un jour, j’ai vu sur Internet une photo qui m’a changé, dit Olivier, 42 ans. C’est une photo connue, elle a fait le tour du monde, mais je ne l’avais jamais regardée. Je veux dire : vraiment regardée. Et là, cette photo m’a frappé le coeur. Cette photo, c’est celle de la planète Terre, bleue, flottant dans l’espace, d’une beauté poignante. A partir de là, j’ai pris conscience que je faisais partie de ce magnifique vaisseau : la Terre, et que j’étais relié aux autres ».
Quand on a conscience de cela, tout à coup, de cette beauté de la Terre de laquelle on participe, une responsabilité naît. Responsabilité dans le sens de respondere, répondre. Etre responsable, c’est répondre. Ce n’est pas seulement apporter une réponse à ce que la situation demande, mais c’est, au-delà de tout engagement écologique et social, engager sa capacité à être. Avec des failles, des manquements parfois. Mais on essaye d’être là. D’être, tout simplement. D’être présent au coeur du monde. D’être présent à soi et aux autres.

Précieuse présence

Mais peut-on demander une pleine présence à soi, aux autres, à ce qui se passe, lorsqu’on est immergé dans un travail exigeant de 8h à 17h ? Qu’il y a des collègues, des demandes, un rythme, des échéances ? Rien n’est donné. Cela dépend des relations qui se tissent au fil du temps dans le microcosme où la personne se trouve plongée. Mais néanmoins, elle a une liberté de choix. Son attitude, ses actes, ses paroles, son comportement, peuvent exprimer qu’elle a pour valeur la coopération plutôt que la compétition. Et surtout, il est possible, par la présence d’abord, de changer l’atmosphère d’un bureau. Apporter une présence attentive à ses collègues, à ses voisins, aux personnes que l’on rencontre est précieux.

Donner sa présence aux autres les fait se rendre compte qu’ils existent dans un regard, qu’ils comptent. Cette attitude donne une autre tonalité aux relations et débouchent sur une coopération et un « être ensemble ».



C’est ce dont témoigne Claudie, 54 ans : « Je venais de Bruxelles et me suis installée en pleine campagne, dans la trentaine, par amour de la nature. Pendant plus de 15 ans, je n’ai porté qu’une très faible attention à mes voisins et aux gens de la campagne environnante. Je me disais que nous n’avions pas les mêmes intérêts. Puis, un jour, ma voiture est tombée en panne et j’ai dû m’en passer pendant un mois. C’était l’hiver. Isolée, je devais me rendre chaque matin à la gare à pied. En désespoir de cause, j’ai glissé des petits cartons dans les maisons voisines demandant aux personnes qui se rendaient à la gare de prendre éventuellement contact avec moi pour un lift. Plusieurs personnes ont répondu. Et je me suis mise à m’intéresser réellement aux gens à partir de là. Je les ai écoutés, je les ai regardés, je ne me suis plus positionnée comme une personne différente. Les relations avec mon environnement ont peu à peu changé pour finalement complètement se transformer. Mes voisins sont des personnes pleines de coeur et admirables tout simplement. Je ne le savais pas parce que je ne posais pas un regard vrai, simple, ouvert sur eux. Je n’étais pas présente à eux. Maintenant, je le suis et j’en suis très heureuse ».

L’attitude intérieure qui consiste simplement à être présent consciemment avec l’autre, induit de façon très naturelle une coopération. Et cela entre individus autant qu’entre communautés différentes. Si les membres d’une communauté rencontrent des membres d’une communauté différente d’eux, sans vouloir les changer, ni imposer une façon de faire, les différences ne sont plus un obstacle à la communication.

L’individu libre

Etre présent, consciemment, à soi et aux autres, c’est finalement se mettre en dehors d’une position uniquement calculante. C’est se mettre un peu en retrait d’une logique toute dirigée vers la bonne « gestion » de sa vie ayant pour seul objectif un profit égotique. Certes, il est nécessaire de savoir effectuer des choix individuels, mais ils s’inscrivent dans un ensemble qui dépasse la seule individualité.
Ceci dit, reconnaissons et aidons les individualités fortes dans leurs pensées et actions transformatrices. Ces personnes cristallisent des aspirations communes d’évolutions (citons des personnes aussi différentes que, par exemple, Louise Michel, Nelson Mandela, José Bové,...). Car les changements sont d’abord le fait de personnes pionnières, en marge, et souvent réfractaires à une vision de masse. Se vivre en tant que personne faisant partie d’une communauté ne cautionne évidemment pas le consensus mou qui altérerait une faculté d’exercer sa liberté personnelle. Pourvu qu’elle ne soit pas exercée en dépit de la liberté d’autrui, celle-ci est la condition préalable à tout épanouissement individuel, social et collectif, comme le souligne Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1998 : « Il faut considérer la liberté individuelle comme un engagement social. La disparition de toutes les atteintes à la liberté ... est constitutive du développement ».

Marie-Andrée Delhamende RÉFÉRENCES :
Changer le monde, 596 pages, éd. La Martinière.
Des racines pour l’avenir, Thierry Verhelst, 455 pages, éd. L’Harmattan.



Paru dans l'Agenda Plus N° 281 de Octobre 2016
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