Solidarité et Compassion
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Solidarité et Compassion



Ecoute, respect, non-jugement, humilité. Autant de qualités indissolublement liées à la compassion et à la solidarité. Celles-ci témoignent d’une présence réelle à autrui.



Tout au long de sa vie, on se rend compte que la bienveillance, la gentillesse, la compassion, la solidarité ne sont pas de vains mots. Elles sont nécessaires dans la vie de chaque personne. Que l’on soit riche, comblé, heureux en amour, entouré, que l’on ait une forte et rayonnante personnalité, ne dispense pas de souffrir. La souffrance fait partie non pas de certaines vies humaines, mais de toutes. Aussi est-il profitable de ne pas juger sur l’apparence, quelle qu’elle soit.
On entend trop souvent des jugements à l’emporte-pièce qui émanent de personnes pourtant bien intentionnées. Des mots impudents comme, par exemple : il a tout ce qu’il faut et n’a aucune raison de se plaindre. Ou : il se complaît dans sa souffrance.
Or, il y a des personnes qui souffrent, qui luttent pour s’en sortir et qui n’y arrivent tout simplement pas ! C’est un fait. La souffrance est là, dans leur vie et s’impose. Peu importe qu’il soit aisé ou non d’y rester. Parfois, c’est une maladie, et des allers-retours constants en clinique. Parfois, c’est une souffrance psychique qui laisse peu de répit.

Qui peut dire… ?

Parfois, certains partent à la dérive. Ils n’en peuvent plus. Ils ne savent pas ou plus comment faire face. Et c’est à accepter. Qui peut dire ce que l’autre est capable de supporter ? Où se place-t-on pour dire que l’autre se complait dans sa souffrance ? Si la souffrance dure, si même elle devient un système, si même elle devient identitaire, c’est que l’autre ne sait tout simplement pas comment faire pour s’en sortir. Il n’a pas accès à autre chose.
Bien sûr, il est impératif de se respecter soimême et donc de se protéger lorsque la souffrance donne lieu à des systèmes de victimisation ou de culpabilisation qui sont parfois trop lourds à vivre. Se protéger est un respect que l’on se doit. Il est nécessaire de mettre ses limites. Pourvu que cette attitude légitime ne soit pas assortie de prétention, de présomption, d’égoïsme, d’égocentrisme, de jugement, de facilité, de démission immédiate et d’un sentiment de supériorité. Se protéger n’empêche pas le sentiment de compassion d’être.

Pas de résultat

En effet, le fait qu’une personne soit enfermée en elle-même, murée dans un système souffrant, parfois toxique, semble très souvent être pénalisé. Comme si la personne n’avait pas bien rempli son devoir, qui serait de s’en sortir puisque l’on s’est occupé d’elle, qu’on a passé du temps pour elle, qu’on lui a donné les moyens de s’en sortir. Y aurait-il une souffrance acceptable et une souffrance qui ne l’est pas ? Y aurait-il une bonne souffrance et une mauvaise souffrance ? Une souffrance qui a un beau visage et une souffrance qui a une laide face ? Pour certaines personnes, il semble que oui. Il y a des souffrances gratifiantes pour ceux qui aident et il y a en a à fonds perdu ! Or, la compassion réelle ne cherche pas un résultat, elle n’utilise pas l’autre. Car c’est utiliser l’autre pour son propre profit que d’investir sa bonté à bon escient et attendre un résultat. C’est évident, semble-t-il. Mais l’est-ce vraiment ? Lorsqu’une personne affirme qu’elle ne va pas donner une pièce de monnaie à un mendiant qui boit, c’est évidemment un choix, mais y-at- il compassion ? La question se pose. Faut-il que la bonne action porte des fruits ? La générosité serait-elle semblable à un compte en banque qui apporte des intérêts ?

Etre avec…

Comment éprouver que l’on est avec l’autre si on se place au-dessus de lui ? Etre avec. Tout simplement. Etre présent. Etre dans la présence. Ça veut dire quoi ? Nous serons en présence de l’autre si nous le percevons à partir d’une certaine profondeur. Et nous serons dans une présence relative si nous le percevons à partir de la surface de nousmêmes. La surface ne permet de percevoir que des caractéristiques visibles. Mais ce qui est fondamental en l’autre n’apparaît pas nécessairement à la surface. Pour employer une terminologie religieuse, nous pouvons voir l’autre avec le regard de Dieu «qui seul sonde les coeurs et les reins», dit le psalmiste.

Et si j’avais été dans sa situation ?

Ne pas juger. Est-ce possible dans certaines situations ? Pardonner est un préalable pour se trouver dans la compassion envers les personnes qui commettent des actes indignes. Thich Nhat Hanh, moine bouddhiste, explique que la compassion vient de la compréhension profonde de la situation d’autrui et il donne un exemple tragique. Il raconte l’histoire d’un pirate thaïlandais qui avait violé une jeune fille qui quittait le Vietnam sur un bateau. Comment éprouver de la compassion pour cet homme !?
Thich Nhat Hanh explique qu’il s’est mis dans un état de méditation et qu’il s’est imaginé profondément qu’il était né petit garçon de parents thaïlandais pauvres, sans instruction, dans un milieu indigent. Et qu’à 13 ans, il était déjà mis au travail dans des conditions très dures. Que le seul réconfort venait du milieu délinquant qu’il fréquentait. Qu’un homme plus âgé qu’il admirait lui proposa de l’accompagner pour prendre les bijoux et l’or des Vietnamiens qui quittaient leur pays. Qu’il accepta, poussé par ses conditions de vie. Qu’il fit alors partie très jeune de cette bande de pirates. Qu’il ne voulait pas devenir pirate, mais qu’il le devint. Qu’un de ses amis a violé devant lui une jeune fille et que, entraîné, il a fait la même chose. Et Thich Nhat Hanh, moine bouddhiste, a réalisé que dans les mêmes conditions, il serait devenu, lui aussi, ce pirate ayant violé une jeune fille.

< La compréhension profonde

Thich Nhat Hanh préconise donc de méditer profondément et longuement sur la situation de cet homme, méditation où le «je» s’identifie aux conditions d’existence qu’a vécu ce petit garçon qui est devenu violeur1. L’acte de cet homme reste épouvantable, mais il est possible d’éprouver de la compassion envers lui qui souffre et fait souffrir. Cette compassion vient de la compréhension profonde qui, elle-même est issue de la méditation. Aurions-nous agi différemment dans sa situation ? Qui peut affirmer péremptoirement que non ?
Ceci dit, on peut aussi ne pas arriver à vouloir même pardonner. Ou ne pas arriver à éprouver la plus petite miette de compassion. Et ça aussi, c’est une souffrance. C’est à soi-même que l’on doit alors de la compassion. Tout ce qui souffre en nous a besoin de tendresse et d’amitié, ceci sans complaisance.

Reconnaître la souffrance d’autrui

On est souvent nu face à la souffrance. On est démuni. C’est comme cela. Parfois, on ne peut rien faire. Et c’est terrible ! Il faut accepter cela. Peut-on nier ce que l’autre ressent, s’il le ressent ? Non, bien sûr. C’est un fait. Et pourtant, il y a des personnes amies, compassionnelles qui refusent ce fait, elles sont spécialistes des «oui, mais». Il leur est impossible d’accepter tout simplement ce que l’autre vit ou exprime de sa souffrance.
Elles atténuent, elles édulcorent. Pire, elles positivent. Positiver équivaut parfois à un déni, une non-écoute. Parfois, elles donnent aussi des conseils et brandissent des techniques qui leur ont fait du bien, à elles. Sans doute ces personnes font-elles ce qu’elles croient bon pour l’autre, c’est sûr. Elles sont bien intentionnées. Mais où est l’écoute ? Où est ce petit mot qui change tout : «avec» ? Avec l’autre ? Etre avec l’autre. Sans sensiblerie, sans infantilisme, mais aussi sans aucune dureté. Etre là avec coeur. Simplement ça. Car la souffrance d’autrui n’est pas compréhensible. Chacun a des raisons de souffrir. Ce sont les siennes. C’est un acte en soi que d’accepter d’être simplement avec l’autre avec coeur dans ce qu’il vit.



Le respect absolu de qui est l’autre

Il y a compassion dans la mesure où il y a respect absolu de qui est l’autre. Le respect, c’est savoir profondément que la première demande de quelqu’un qui souffre est d’être approché avec respect. Si une personne érige des défenses, c’est qu’elle en a besoin. Les personnes qui sont sans domicile fixe ont parfois des comportements agressifs, et refusent quelquefois d’être aidées. C’est leur réalité et elle est légitime. Cela n’empêche pas la compassion. La compassion réelle n’a pas une forme prédéterminée. Elle est désintéressée. Elle s’exprime même parfois dans un retrait, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Parce que l’autre demande ce retrait. Retrait qui n’est pas indifférence, mais respect des limites, de la demande et du rythme de l’autre. Retrait mais non désintérêt. Il s’agit de rester disponible et de le faire savoir régulièrement.

Des signes désintéressés…

La compassion est possible s’il y a confiance. Et la confiance se construit lentement, fidèlement, et parfois avec de toutes petites choses. Un regard, un sourire, un sms. Là où il y a souffrance, il y a blessure. Et Peur. Une peur, on en tient compte. Et une blessure, ça se soigne avec douceur. Avec chaleur. Avec gentillesse. Avec bienveillance. Avec indulgence. Avec tendresse. Avec délicatesse. Tous les signes d’amour désintéressé font du bien. Quoique l’on dise ou fasse, un sourire, s’il est réellement adressé à l’autre et s’il vient du coeur, fait beaucoup de bien aux deux personnes. Ça semble peu de choses, mais c’est énorme. D’abord, ça : aimer. Aimer fraternellement. Alors, dans cette égalité-là, dans le lieu du coeur, on peut aider et être aidé.
Etre dans le coeur, ouvert à cet endroit-là. Ouvert, mais non hémorragique. Libre de soi, de ses demandes de gratifications, de ses rôles de sauveteur. C’est toute une vie qu’il faut pour arriver, de temps en temps, à être libre de soi. Ce qui est paradoxal, c’est que c’est seulement en donnant qu’on se libère de soi. Le don gratuit de soi est libérateur. Les moments désintéressés où nous sommes avec autrui, les moments précieux d’écoute et de disponibilité réelle à l’autre, sont des moments qui nous libèrent de nous-mêmes. Dès que l’on est dans le coeur, ça rend heureux et ça rend libre.

Libre d’être

Aider, c’est se mettre au service de l’autre et non penser ou décider de ce qui est bon pour lui sans prendre en compte son désir. Car c’est dans la fragilité que l’on a le plus besoin d’être reconnu comme étant une personne autonome. Même si on ne parvient plus à être autonome matériellement ou psychologiquement, il y a un désir humain de base qui est à prendre en compte radicalement : être soi-même. Au sens le plus basique. Fondamentalement, l’être humain sait qu’il est libre. Non pas libre de faire ce qu’il veut. Mais libre d’être. Il y a en lui un espace radicalement libre. Il y a une faculté intérieure de liberté qui fonde l’être humain. Aussi chacun aspire-t-il à ne pas être agi ou déterminé par les autres, par les actes des autres, par les pensées des autres, par les intentions des autres, fussent-elles bonnes. Chaque personne veut être respectée dans sa capacité d’autonomie potentielle, c’est-àdire source de son propre devenir.

Le bien le plus précieux

Ce qui est adéquat pour l’autre, c’est ce qui le rencontre. A supposer même qu’on donne à une personne démunie toutes les possibilités de s’en sortir, matériellement par exemple, si sa demande n’est pas rencontrée, les biens offerts ne serviront à rien. Ils seront non utilisés, gaspillés, non entretenus, voire détruits. Car le bien le plus précieux, c’est le respect de cette liberté de base qui fonde l’identité de chacun. Cela, avant toute chose et en toute chose. Il ne sert à rien d’imposer des bonnes intentions qui ne sont que projections. Ayant écouté l’autre, on peut seulement proposer ce qui le rencontre. Seule l’aide qui rencontre l’autre et correspond à son besoin est réellement honorable et efficace. Car elle respecte autrui. Le respect est au coeur de la compassion indissolublement lié à l’amour.

Prendre sur soi

Le service prend parfois des formes très hautes. Ainsi, la grande compassion du bouddhisme fait que le boddhisattva cchoisit de renaître et de prendre sur lui les souffrances de tous les êtres afin de les libérer. Cette notion de prendre la souffrance sur soi manifeste que la compassion n’est pas passive. Elle est reliée à la conscience de notre unité. Il arrive que l’on prend sur soi les souffrances de l’autre, et que l’on en tombe malade. C’est le cas des grandes personnalités charismatiques, de sages, de saints, mais aussi d’une multitude de personnes anonymes, des simples membres d’une même famille qui accompagnent certains des leurs. Etre compatissant n’est pas nécessairement reposant. Ça peut aussi secouer, fatiguer, user, tarauder. La compassion n’est pas une image d’Epinal, mais une réalité existentielle.

Actes et efforts de solidarité

Elle demande d’abord une présence. Mais aussi des actes concrets. Ouvrir son portefeuille, par exemple. Pas si simple quand c’est la crise. Pourtant, c’est important. Voter dans le sens du bien de la collectivité plutôt que de son seul intérêt. Proposer son aide et agir en fonction du besoin. La solidarité demande un effort. Cet effort vient d’une sensation : dans notre chair, dans notre coeur, nous sentons intuitivement que nous sommes fondamentalement identiques.

Ce qui nous rend différent sont les conditions familiales, culturelles, héréditaires, karmiques - diront certains. Mais fondamentalement, nous sommes liés, et nous sommes interdépendants. Se rendre compte de ce lien et de cette interdépendance débouche sur la solidarité. C’est un lien avec soi-même que l’on reconnaît comme respectable et digne d’amour. C’est un lien avec autrui, sans distinction de race, de sexe, de genre. C’est aussi un lien avec la Terre et tout ce qui vit…

Marie-Andrée Delhamende

1) Exemple tiré de Soyez libre là où vous êtes, Thich Nhat Hanh, Dangles éditions.



Paru dans l'Agenda Plus N° 263 de Décembre 2014
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