Psychologie Bouddhiste
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Psychologie Bouddhiste



Exposer brièvement la psychologie bouddhiste est une affaire délicate, car il existe de nombreuses écoles correspondant aux vagues successives d’essaimage du bouddhisme dans les différents pays d’extrême-orient. Dans la tradition originelle, le Théravada, le système principal est l’abidharma. Je vais me référer ici au Yogacharya, l’une des principales écoles du grand véhicule ou Mahayana, et son système des 8 consciences pour décrire le fonctionnement relatif de l’être. Je dis « relatif », car ces consciences appartiennent toutes au cycle de l’existence ou samsara : elles sont donc composées, impermanentes, sujettes à la naissance et à la mort. Nous parlerons en fin d’article de la dimension absolue, inconditionnée, de la conscience éveillée.





Les huit consciences

Les cinq premières sont les consciences liées aux sens : elles sont simplement conscientes des signaux sensoriels envoyés par les cinq sens. La sixième est « l’organe mental » : elle est consciente des phénomènes mentaux (pensées, états mentaux) de la même façon que les cinq premières perçoivent les signaux sensoriels. Ces six premières consciences sont passives : elles se contentent de connaître des phénomènes perçus.
Ensuite vient la septième conscience, en sanskrit klesa mano vijnana, la « conscience marquée par les passions ». C’est elle qui commente les messages reconnus par les six premières : elle juge, réagit par l’aversion ou l’attachement, fabrique des scénarios et commentaires mentaux. Elle est le siège des passions, elle est agitée et turbulente.
Par exemple, si vous voyez une fleur, la simple conscience de la fleur est le fait de la conscience de la vue. Ensuite, celle qui dit « je la veux, elle est belle, etc », l’impulsion de la saisir, ressort de la septième.
Enfin la huitième conscience, alaya vijnana, la « conscience base de tout », est le réceptacle de toutes les traces karmiques résultant des actes passés. En effet, selon la tradition bouddhiste, chaque action passée (le mot karma signifie action) laisse une empreinte dans la huitième conscience, une graine de joie ou de souffrance selon la nature de l’acte. Un acte de violence, par exemple, laissera une graine de souffrance. La psychologie occidentale a bien découvert cela dans le cadre de la petite enfance par exemple, mais dans le bouddhisme le processus s’étend aux nombreuses vies passées. Toutes ces graines karmiques, inactives et latentes, sont stockées dans l’alaya. Lorsqu’une graine est activée par une circonstance quelconque, elle se manifeste comme bonheur ou souffrance. C’est la raison pour laquelle une circonstance d’apparence anodine peut déclencher un bonheur ou une souffrance apparemment sans lien avec l’événement déclencheur, comme on peut le voir avec les personnes victimes de graves abus dans leur jeunesse par exemple.



Le chemin bouddhiste

De quelles multiples façons la voie bouddhiste propose-t-elle d’agir pour progresser vers l’Eveil ?
• Tout d’abord, la pratique de la méditation consiste, on le sait, à ne pas suivre les commentaires de la septième conscience, à ne pas s’impliquer dans ses jugements, ces scénarios fictifs : par une pratique régulière de ce type, on en vient à ralentir le mécanisme de la septième conscience, et ainsi à avoir un espace de choix. La septième conscience peut être
• Il est conseillé, selon la belle expression du maître vietnamien Thich Nhat Hanh, « d’arroser les graines de la joie » : Puisque notre huitième conscience est ensemencée de diverses graines, ce sont celles dont nous nous occuperons le mieux qui pousseront davantage. Dans le cas de personnes souffrantes, le bouddhisme propose d’identifier les sources de joie disponibles et de les cultiver. Il va sans dire que la méditation est aussi centrale à ce processus, en induisant le contentement de vivre. La pratique de l’amour bienveillant a le même effet : nous cultivons les graines d’amour en nous, nous les faisons mûrir et s’étendre jusqu’à embrasser tous les êtres.
• Enfin, il s’agit de traiter les graines de souffrance : à chaque fois que l’on pardonne, à chaque fois que l’on lâche prise d’une tendance destructrice, à chaque fois que l’on apprend à accueillir et à traverser une émotion douloureuse, on libère une graine de souffrance. C’est pourquoi notre vie comporte nécessairement des moments difficiles : selon le bouddhisme, c’est plutôt bon signe, cela signifie que l’on « paye une dette karmique », que l’on nettoie la 8ème conscience d’une graine noire. Il existe une erreur (assez présente dans les milieux spirituels) consistant à occulter les graines noires, à vivre dans un monde illusoire de « bisounours » où l’on recouvre les tendances négatives, ce qui revient à nier les empreintes problématiques présentes dans la huitième conscience. C’est pourquoi la pleine conscience authentique est une confrontation lucide et sereine avec la réalité, et non une fuite.

Le relatif et l’absolu

Pour conclure, il est très important de bien comprendre que ce mécanisme décrit le fonctionnement relatif de l’esprit, au sein du samsara. Mais il existe un moyen beaucoup plus radical, ou absolu, de libération : reconnaître directement le tathagata gharba, la « nature de bouddha », la conscience primordiale au delà de la naissance et de la mort, clarté et espace illimités au sein desquels se déroule la danse des huit consciences. C’est ce que montrent directement les enseignements de sagesse de la tradition bouddhiste (comme le Chan, le Zen, le Mahamoudra et le Dzogchen dans le bouddhisme tibétain, et bien d’autres).
En réalité, les deux approches peuvent aller de pair : en effet, plus vous ralentissez la septième conscience, plus l’esprit est calme ; plus vous purifiez la huitième, plus il est clair. Il est alors plus facile de reconnaître la conscience éveillée primordiale. En pratique, il est donc conseillé de jouer simultanément sur les deux tableaux, absolu et relatif.
Bien sûr, la psychologie occidentale a redécouvert certains de ces aspects sous d’autres noms ; l’intérêt de l’approche bouddhiste est d’offrir une vision d’ensemble plus vaste, presque « cosmique » de l’être, qui n’est pas réduit à sa partie matérielle, visible et manifeste dans le cadre de cette vie.

Olivier Raurich



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