La sérendipité ou l’art de découvrir ce que l’on ne cherche pas
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La sérendipité ou l’art de découvrir ce que l’on ne cherche pas



Connaissez-vous le point commun entre le velcro, la pénicilline, le microondes, le post-it, le Viagra, le LSD, le Téflon et le frisbee… ? Ce sont toutes des découvertes sérendipitiennes ! Ces innovations sont le fruit d’intuitions géniales qui naissent lorsque nous ouvrons les yeux sur l’inattendu et avons l’intuition de nouveaux possibles là où d’autres n’en voient pas.





L’origine du mot sérendipité vient d’un conte persan intitulé « Les trois princes de Serendip », écrit par le musicien et poète Amir Khusrow en 1302. Il raconte l’histoire du roi-philosophe de Serendip (nom médiéval du Sri Lanka) qui veilla à ce que ses trois fils reçoivent la meilleure éducation du royaume. Il était convaincu que l’apprentissage par les livres devait être complété par l’expérience du monde réel. Il leur ordonna donc de partir à la découverte du monde. Chemin faisant, les 3 princes prirent l’habitude d’observer et d’interpréter toutes sortes d’indices insolites d’où émergèrent une foule d’enseignements.
Quelques siècles plus tard, en 1754, Horace Walpole, un jeune historien anglais écrivit à un ami au sujet de ce ‘conte stupide’ qu’il avait lu. Dans sa lettre, il inventa le mot ‘sérendipité’ pour expliquer une énigme qu’il venait de résoudre sur des armoiries vénitiennes en feuilletant un vieux livre qui lui était tombé entre les mains. Le concept était né.

Dans le monde francophone, la sérendipité prend parfois le sens plus large de « rôle du hasard dans les découvertes ». Mais ce sens réducteur empêche de comprendre le véritable message du conte originel. D’après Sylvie Catellin, chercheuse en sciences de l’information et de la communication, princes de Serendip nous apprennent : « l’art de découvrir ou d’inventer en prêtant attention à ce qui surprend et en imaginant une interprétation pertinente. »

La découverte de la pénicilline par Alexander Fleming en 1928 illustre parfaitement la spécifi cité du terme. C’est un incident totalement imprévu qui le met sur la voie (la moisissure qui avait contaminé de vieilles expériences à son retour de vacances), mais c’est la sagacité de Fleming qui rend la découverte possible : grâce à ses connaissances préalables, son intuition et ses travaux qui portaient depuis plusieurs années sur les propriétés antibactériennes de différentes substances.
Aux côtés de la recherche scientifi que qui abonde d’exemples insolites de sérendipité (on pense à Newton, la chute d’une pomme et la loi de la gravitation universelle,…), elle trouve aussi son application dans des champs très divers, allant de la création littéraire et artistique aux entreprises actives dans l’innovation, où les technologies numériques et Internet semblent jouer un rôle favorisant les phénomènes de sérendipité.

Fortuité et sagacité

Des milliers de grandes ou petites innovations qui ont jalonné l’histoire de l’humanité ont donc un élément en commun : elles n’ont pu se transmettre que parce qu’un observateur, un expérimentateur, un artiste, un chercheur, a su tirer profi t de circonstances imprévues. La sérendipité combine donc la fortuité (le soi-disant ‘hasard’) à la sagacité.
Mais cette capacité nécessite un « éclair intuitif », une sorte d’Eurêka qui permet la réalisation de la découverte. Sans cette présence attentive aux phénomènes qui nous entourent, l’intuition ne peut émerger. La sérendipité, tout comme les synchronicités, ne peuvent être perçues que si l’on est prédisposé à les voir.

« Bien plus qu’un simple caprice de la providence, la sérendipité est la faculté d’intellectualiser un étonnement et de tirer parti de la bonne fortune. (…) Mais en quoi consiste-t-elle ? Si vous êtes vraiment dans le moment présent et que votre esprit n’est pas emporté par mille distractions, ou bien enfoncé dans ses propres ruminations, naturellement, vous développez une sorte de concentration panoramique, une sensibilité accrue au moindre phénomène, aux personnes qui sont dans le champ de votre vigilance », résume le philosophe et moine bouddhiste Matthieu Ricard lors de la conférence TEDx Global, à Lyon, en 2014.

Favoriser la sérendipité

Un phénomène de sérendipité implique souvent l’interaction de 4 éléments :

• un esprit préparé (ouverture d’esprit, curiosité, personne en recherche) ;
• un déclencheur imprévu (un événement, une péripétie, des circonstances particulières) ;
• une intuition (née du mélange d’observations, de connaissances et d’expériences) ;
• une amplifi cation ou vérifi cation (permettant de pleinement exploiter le potentiel de l’intuition de départ).

Même si, par défi nition, l’on ne peut évidemment pas planifi er la sérendipité, on peut en revanche la stimuler, créer les conditions qui la favorise. Voici quelques pistes :

• sans curiosité pas de découverte, il est donc essentiel de développer son ouverture d’esprit, son écoute à soi et aux autres, apprendre à vivre sans oeillères, observer la Nature, … ;
• la sérendipité se révèle souvent dans les petites choses de la vie, il est donc important de cultiver sa présence, sa vigilance et son attention aux détails ;
• le changement de regard est également une clef, il est essentiel de cultiver d’autres façons de percevoir les choses et de s’entraîner au changement de perspective, quelle que soit la situation.

Pour ces différentes raisons, il est souvent dit que les pratiques contemplatives et méditatives favorisent les phénomènes de sérendipité.

Et quand parfois le hasard fait mal les choses (le fait-il réellement ?), vous pourrez dire c’est la faute à la « zemblanité », terme inventé non sans humour par l’auteur William Boyd1 pour désigner l’exact contraire de la sérendipité ou le don de faire à dessein des découvertes attendues, malheureuses et malchanceuses... ;-)

Olivier Desurmont

RÉFÉRENCES :
« La Sérendipité - Le hasard heureux » de D. Bourcier & P. Van Andel aux Ed. Hermann
« Sérendipité - Du conte au concept » de S. Catellin, Le Seuil
« C’est quoi la sérendipité ? 80 découvertes dues au hasard qui ont bouleversé le cours de l’histoire »
de D. Bourcier & P. Van Andel, le Courrier du Livre.



Paru dans l'Agenda Plus N° 322 de Novembre 2020
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