Vers une rationalisation de la psychothérapie au cube !
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Vers une rationalisation de la psychothérapie au cube !



Le 1er mars dernier, la Haute Cour Constitutionnelle de Belgique a rendu un arrêt dans ce qu’il faut bien appeler la saga de la « psychothérapie ». Long de 52 pages, il ne manque pas de surprendre ! Il clôt cinq procédures lancées simultanément il y a plus d’un an par plusieurs institutions de soins, écoles de formation et groupements de psychothérapeutes pour tenter d’annuler des morceaux de la loi encadrant la psychothérapie lancée par la Ministre de la Santé Maggy De Block il y a trois ans.



Lire ce long arrêt permet d’illustrer que la Cour Constitutionnelle valide des raisonnements très particuliers : par exemple la loi attaquée permet aux médecins d’exercer la psychothérapie clinique et de prester des actes de psychologues cliniciens. Or, les études de médecine ne forment pas à la psychothérapie ni à la psychologie. La Haute Cour a pourtant validé le raisonnement du Conseil des Ministres. De nombreux acteurs proches du dossier (avocat, associations professionnelles, etc.) sont « étonnés » de l’arrêt de la Cour, qui fait quelque peu pâlir la notoriété de la haute juridiction par la validation de raisonnements simplistes à plusieurs égards. Voilà une première rationalisation pas très rationnelle ! Les plus hauts magistrats des pays ont donc rendu un arrêt très « politique », comme il s’en rend dans presque tous les dossiers qui touchent à l’art de guérir.

Une concentration du pouvoir ?

Le pouvoir dans l’art de guérir est déjà fortement concentré dans les facultés universitaires de médecine, et voilà désormais que les facultés de psychologie et représentants des diplômés universitaires ont aussi adopté la même posture : seule l’université est le lieu de formation des psychothérapeutes et une seule voie le permet (alors qu’en Belgique, l’essentiel de l’expertise et des formations de psychothérapie est organisé hors des universités).

Prenons de la hauteur : la grande majorité des évolutions législatives, juridiques et financières qui sont initiées pour élargir les pratiques et praticiens dans l’art de guérir sont cassées dans leurs développements soit par des positions très dures du Gouvernement Fédéral actuel, soit par des arrêts quasiment rétrogrades des juridictions. Pensez à la destinée du titre de psychomotricien, de naturopathe, du non-remboursement des ostéopathes, de la psychothérapie, d’arrêts en matière fiscale sur ces matières, etc. Etonnant à l’heure où les besoins en santé mentale explosent et où la population fait de plus en plus appel à ces pratiques complémentaires.

Il y a donc de très puissants lobbys qui sont à l’oeuvre pour tenter de cadenasser le pouvoir des actuels praticiens de l’art de guérir : cadenasser les nouvelles pratiques et cadenasser les financements de l’INAMI sont dans leurs stratégies.

Mesures transitoires !

Cela étant, tout n’est pas noir (mais gris foncé malgré tout) car un précédent arrêt du 22 décembre 2016 a tout de même cassé un article de la loi du 10 juillet 2016, « en ce qu’il ne prévoit aucun régime transitoire pour les personnes qui, avant l’entrée en vigueur de cette loi, exerçaient la pratique de la psychothérapie ».

La Cour a dit, dans son arrêt de mars 2017, que les professionnels qui exerçaient au 31 août 2016 peuvent continuer à exercer tant que le législateur n’a pas pris de mesure réparatrice pour assurer les droits acquis.

Le législateur va devoir prendre, dans les semaines à venir, une loi de correction (qui sera peut- être aussi sujette à recours !) pour instaurer des « mesures transitoires ». Il va sans doute devoir tenir compte de la formation des « anciens » qui ne rentrent pas dans le moule de Maggy De Block, proposer un délai pour s’ajuster à un minimum de formation et respecter une forme d’ancienneté dans la pratique.

En attendant ces mesures transitoires, les professionnels qui exerçaient au 31 août 2016 peuvent continuer. Actuellement, l'article 122 de la loi du 10 mai 2015 ne prévoit pas de sanction concernant un exercice illégal de la psychothérapie.

Exit les centres de formations non institutionnels !

Une seconde rationalisation qui ne manque pas de surprendre est que, désormais, seules les universités et les hautes écoles sont les passages obligés pour la formation donnant accès à la psychothérapie.

Evidence based biais !*

Enfin, une troisième tentative de rationalisation est dans la définition de la psychothérapie : « elle utilise un ensemble cohérent de moyens psychologiques (interventions), qui sont ancrés dans un cadre de référence psychologique et scientifique ». Ici, la logique médicale de classification des troubles va pouvoir avancer comme un rouleau compresseur et « pathologiser » toute une série de difficultés, y compris des difficultés normales de la vie (IVG, deuil, etc.). La future psychothérapie prend la route de la « psychiatrisation » des soins, à mille lieues de l’humanisation tant nécessaire.

Alors que les spécialistes des sciences humaines voient le burn-out autant comme une difficulté d’une personne que d’un dysfonctionnement de société, l’approche « evidence-basedpractice » soutenu par la Ministre va « médicaliser » le trouble et bientôt imposer « le » meilleur protocole de soins validé par la littérature.

Sur papier, c’est beau. Dans la réalité, il y a d’immenses biais. Primo la littérature n’étudie qu’une mince partie des thérapies et un nombre important de pratiques non étudiées, ne sont pas validées, et pourtant elles sont efficaces. Deuxio, les études n’envisagent que trop peu l’impact de la relation thérapeutique, primordiale dans la santé mentale plus que dans tout autre pratique de santé. Tertio, en se focalisant sur la pathologie, les études scientifiques manquent de recul sur les dysfonctionnements sociétaux. Et n’oublions pas que la recherche en psychologie et psychothérapie est sous-financée car elle ne bénéficie pas aux lobbys pharmaceutiques !

Vers des alternatives

Des acteurs alternatifs comme Alter-Psy, qui regroupent des opposants à cette vision, réfléchissent déjà à des alternatives. Dans les pays voisins, d’autres titres ont vu le jour, permettant à ces métiers de s’exercer (psychopraticiens, councelors , coach, etc.).
Alter-Psy dénonce : « La politique générale de santé promue par le gouvernement touche l’ensemble du secteur médical et paramédical. Exclusivement motivée par l’objectif de réduire les coûts en normalisant les soins sur des bases statistiques et des procédures objectivantes, cette politique fragilise profondément la relation de soins et la prise en considération des individus dans leur subjectivité et leur singularité. »

Dans le cadre actuel, il existe des moyens de poursuivre les activités thérapeutiques, mais sans doute faudra-t-il renoncer à la reconnaissance officielle des pouvoirs publics, et partant des mutuelles et des circuits classiques de financement qui vont s’organiser dans les années à venir. Il s’agira pour ces professionnels de développer indépendance, efficience et que leur plus belle reconnaissance soit la qualité de leur travail.

Une des pistes envisagées pour l’avenir est la définition d’un nouveau métier qui n’est pas la psychothérapie de la Ministre De Block.

L’arrêt de la Cour Constitutionnelle laisse une ouverture explicite, dont l’orientation sera plus en lien avec les sciences humaines. Il s’agira alors de créer un nouveau référentiel, un champ de compétences propres, en somme une pratique qui ne s’inscrirait pas strictement dans la définition restrictive de la psychothérapie actuelle. Cette pratique ne serait donc pas régie par les exigences de titres et diplômes consacrés par la loi. Et elle pourrait alors se poursuivre, exister, prendre son indépendance.

La responsabilité dans le choix d’un thérapeute

Il reviendra à celles et ceux qui s’engagent dans un processus thérapeutique de choisir plus que jamais en âme et conscience leur thérapeute. Ce choix sera-t-il guidé uniquement par le prix (et donc le remboursement ?), la sécurité d’un titre « officiel » ou par la qualité de présence, de bienveillance, l’efficience et la qualité de la relation thérapeutique ?
Au-delà de ce resserrement du cadre de l’art de guérir par les politiques actuelles et arrêts récents des juridictions, plus que jamais, l’humanité est en évolution vers une conscience plus ouverte. Nul doute que dans quelques dizaines d’années, cette contraction sera perçue comme une vaine tentative servant des intérêts particuliers.
C’est dommage car il y a tant de mal-être à accompagner et de souffrances humaines à guérir !

Raphaël Dugailliez
raphael@agendaplus.be



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