La reconnaissance de la psychothérapie (et sa mise en perspectives…) !
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La reconnaissance de la psychothérapie (et sa mise en perspectives…) !



Après plus de 10 années de discussions, la santé mentale, la psychothérapie et ses professionnels trouvent un cadre légal par une nouvelle loi qui, au passage, ouvre bien des perspectives pour les années à venir. Une révolution culturelle !





Un processus législatif inédit

Cela est historique même si cela est passé à peu près incognito dans les médias, ce jeudi 30 janvier, les députés de la Chambre ont approuvé la proposition de loi DOC 53 3243/004 réglementant les professions de la santé mentale et modifiant l’arrêté royal n°78 du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des professions des soins de santé. Son processus d’adoption a même été assez inédit car ce n’est pas le Gouvernement qui a soumis un projet de loi, mais les parlementaires de 8 partis qui se sont longuement [très longuement, car cela a mis 10 ans !] concerté avec les acteurs pour, en accord avec la Ministre Fédérale de la Santé, s’accorder sur un texte de loi. PS-MR-cdH-Ecolo, côté francophone, et VLD-CD&V-Groen!-SPA, côté néerlandophone, ont apporté leur soutien à ce texte.
Bien que la profession de psychologue est reconnue par la loi depuis 1993, les traitements de psychothérapie ne l’étaient toutefois pas. D’autres prestataires n’étaient également pas encore reconnus. La loi porte reconnaissance de la psychologie clinique, de l’orthopédagogie clinique et de la psychothérapie. Il était désormais temps d’encadrer les droits des patients par le biais de praticiens reconnus, compétents. Cela donne ainsi l’accès aux thérapies de la santé mentale.

Quels objectifs pour cette loi ?

En substance, la loi poursuit un triple objectif:
1° la reconnaissance des professions de psychologue clinicien et d’orthopédagogue clinicien, dans le cadre de l’arrêté royal n° 78 (AR n°78) du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des professions des soins de santé
2° la protection du titre de psychothérapeute et la réglementation de l’exercice de la psychothérapie
3° la création du Conseil de la santé mentale, qui appuiera le gouvernement dans la poursuite d’une politique pertinente en matière de santé mentale.

Si un ensemble de matières sont réglées dans cette loi, de larges habilitations sont toutefois également conférées au Gouvernement pour produire des Arrêtés Royaux qui préciseront le texte après avis des divers organes consultatifs. La loi reconnaît d’emblée 4 courants de psychothérapies en laissant la porte ouverte à de nouvelles entrées ultérieures :
1° la psychothérapie à orientation psychanalytique et psychodynamique ;
2° la psychothérapie à orientation comportementale et cognitive ;
3° la psychothérapie à orientation systémique et familiale ;
4° la psychothérapie à orientation expérientielle et humaniste.

La proposition de loi ne concerne pas la psychanalyse dite “laïque”. Cette pratique institue avec le patient un trajet personnel de meilleure connaissance de soi. Dans la mesure où elle ne s’identifie pas à la psychothérapie, cette psychanalyse ne rentre pas dans le champ d’application de la loi.

Qui dit autonomie dit responsabilités

La loi insiste sur la responsabilité du dispensateur de soins :
- il est requis que le dispensateur de soin constitue un dossier à propos du patient
- il est inscrit l’obligation d’orienter le patient vers un médecin spécialiste en cas de problèmes de santé graves.
La loi garantit l’autonomie du dispensateur de soins, sans être sous les ordres de médecins. Un bel acquis.
De même, un nouvel article dans l’AR 78, réglementant les professionnels de la santé mentale, instaure l’obligation légale de travail pluridisciplinaire, pour toutes les professions de l’art de guérir. Voilà qui va sans doute pousser les prestataires de soins à l’humilité et à la transdisciplinarité, en instituant une véritable dimension holistique.
Par ailleurs, l’art. 11bis stipule que «tout praticien d’une profession des soins de santé a la responsabilité de renvoyer son patient vers un autre prestataire de soins compétent en la matière lorsque le problème de santé nécessitant une intervention excède son propre domaine de compétence».
À l’instar d’autres États, la Belgique reconnaît la compétence de l’enseignement supérieur pour organiser les formations et ne réserve donc pas celles-ci au niveau universitaire.

En perspectives

Enfin, pour les personnes qui pratiquent déjà la psychothérapie, d’ici septembre 2016, date d’entrée en vigueur de la loi, le Gouvernement fédéral «fixera, après avis du Conseil fédéral de la psychothérapie, la procédure suivant laquelle les personnes justifiant d’une pratique de la psychothérapie à la date de publication de la présente loi peuvent faire valoir leur formation et leur expérience antérieure en vue de porter le titre de psychothérapeute».

Les universités devront adapter leur cursus aux nouvelles règles. Outre un baccalauréat, elles devront proposer des modules de formation complémentaires dans les domaines où les notions de psychologie de base sont requises.
L’AR n°78 est le texte fondamental qui réglemente l’art de guérir. En intégrant les psychologues cliniciens et pas les psychothérapeutes, il est amusant que le législateur créée une forme de sous classe de praticien de l’art de guérir, signe qu’il reste encore des évolutions à faire adopter ultérieurement.

En outre, la définition de l’exercice de la psychothérapie ne stipule pas encore aux psychothérapeutes la capacité :
1° à des psychothérapeutes de poser un psychodiagnostic
2° à indiquer que les psychothérapeutes agissent parfois avec d’autres personnes que les patients proprement dits (familles, environnement psychosocial, etc.)
D’ici 2016, un travail législatif va encore prendre place, pour les différents arrêtés royaux. Ensuite le Gouvernement devra engager les remboursements de prestations, car cela deviendra incontournable, notamment parce que la plupart des psychiatres n’ont plus le temps d’y consacrer le temps nécessaire et que la médicamentation est souvent une béquille temporaire, mais pas une solution structurelle.

Globalement, dans le contexte actuel, la loi va dans le bon sens et son adoption en fin de législature est une belle surprise. Le prochain gouvernement fédéral devra quant à lui finaliser les différents textes pour rendre ceci opérationnel en 2016 [cursus, agrément, etc]. La suite logique sera d’organiser les remboursements des consultations.

Raphaël Dugailliez



Paru dans l'Agenda Plus N° 255 de Mars 2014
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