Oxygéner les liens familiaux pour renouveler le plaisir d’être ensemble
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Oxygéner les liens familiaux pour renouveler le plaisir d’être ensemble



Culturellement, la période de Noël – avant, pendant ou juste après – est le temps de moments en famille. Il y a le réveillon, toutes sortes de repas et des réunions de famille, l’avant-veille ou le lendemain, où l’on associe l’abondance d’une belle table, la beauté d’une chaumière chaleureuse et l’intimité des retrouvailles. Mais questionnons-nous intimement. Le temps de ces moments de partages est-il réellement un moment de fête ? Sommes-nous dans une joie profonde en y participant ?



Tandis que décembre se présente à nous, voici également la frénésie commerciale qui cherche à remplir nos maisons et nos sapins de mille et une choses. Cette frénésie, si on n’y prend garde, peut aussi nous contaminer en nous donnant l’illusion que les cadeaux à tout prix (et aussi à tous les prix) ainsi qu’un opulent repas sont le gage de fêtes réussies. Le Père Noël – par sa sagesse – malgré son grand attelage, n’avait pourtant pas transmis cette illusion dans nos logis.

Il n’y a nul besoin d’être un professionnel de la relation d’aide pour entendre un peu par-tout autour de nous des témoignages qui illustrent que les liens familiaux ne sont pas aussi harmonieux que les musiques de Noël qui nous berceront en décembre, un vin chaud à la main. Il en va de même pour le vécu des fêtes. Nombre de personnes n’apprécient pas les fêtes et/ou le temps des fêtes.

L’encodage de notre personnalité dans la prime jeunesse

La famille est aussi le principal lieu du « codage » de notre personnalité - de sa construc-tion - dans la prime enfance. L’adage « Tout se joue avant 7 ans » vient de la constatation clinique qu’un grand nombre de conditionne-ments néfastes et persistants dans la vie d’un adulte ont été ancrés dans la prime enfance comme autant de conclusions, parfois répé-tées, d’expériences vécues.
La traversée de l’enfance imprime donc une quantité de conditionnements qui parfois nuisent déjà en eux-mêmes à l’harmonie dans la famille. Les conditionnements vont aussi s’accompagner de ressentiment du fait que, dans notre enfance, nous n’avons pas pu nourrir certains besoins fondamentaux (exis-ter, être relié par l’amour, explorer ce qui fait sens, se sentir en sécurité, etc).

Avez-vous déjà eu un sentiment de compéti-tion avec un membre de votre fratrie ? Existe-t-il de la rancœur contre votre père ? Avez-vous le sentiment d’avoir été assez écouté par votre mère ? Rien que cette traversée dans l’enfance, si harmonieuse ait-elle été, a laissé des traces de disharmonies qui peuvent resurgir dans ces réunions de famille et alté-rer le réel plaisir des retrouvailles. Car aucune enfance n’est accomplie « parfaitement » et ne produit des enfants libres de tout condi-tionnement. Le travail d’une vie pour tout un chacun est de démêler tout cela pour pouvoir revenir à son être essentiel.

Une famille s’apparente à un clan

Il y a des traditions, des habitudes, des hié-rarchies instituées, des choses qui peuvent se dire aisément et d’autres pas, des zones connues, des réflexes de cohésion, conscients et inconscients.
Dans combien de familles les liens avec les beaux-enfants (les conjoints des enfants) sont-ils complexes ? Un conjoint est une « pièce rapportée » au clan qui forcément vient d’un autre clan, avec d’autres tradi-tions, d’autres habitudes. Automatiquement il y a des perturbations. Comment sont-elles vécues ? Comment les « pièces rapportées » sont-elles accueillies ? Complètement ? A demi ? Totalement ? Dès qu’il y a manque d’accueil, il y a alors immanquablement des conflits de double loyauté qui s’installent. Et alors là débutent des tourments qui sont pourtant évitables.

Les conflits de double loyauté

Un conflit de double loyauté s’installe lorsqu’une personne se doit d’être loyale à deux systèmes différents qui sont partielle-ment ou totalement en disharmonie et mus par des enjeux différents. L’être est alors « tiraillé » entre la fidélité et la loyauté aux deux systèmes qui entrent en conflit. Inévita-blement, cela place l’être en conflit intérieur, reflet du conflit des systèmes. La personne va alors vivre une contraction, une tension, qui va étouffer sa joie et son expansion si elle ne gère pas cette difficulté.
Dès qu’une famille s’ouvre par les conjoints à d’autres « clans », des conflits de loyauté s’installent si les liens familiaux ne sont pas assez ouverts aux changements, ne sont pas assez « oxygénés » par le renouvellement qu’amène la rencontre. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : toute rencontre est comme une bouffée d’oxygène qui permet de nous renou-veler et de réinventer la rencontre.



La rencontre nous place face à l’inconnu

Car la rencontre d’un autre consiste automa-tiquement en une micro-perturbation pour notre identité : l’autre vient avec d’autres points de repères, une autre relation à la vie, au temps, à l’argent, etc. La rencontre avec l’autre va induire un questionnement qui peut soit nous aider à mieux nous ajuster, soit à venir bousculer un espace blessé entrainant alors un rejet vis-à-vis de l’autre.
Dans combien de familles la garde des petits-enfants est-elle parfois problématique ? Une jeune maman ne veut pas que ses beaux-parents gardent ses jeunes enfants. Des grands-parents qui stressent car leur pra-tique d’encadrement de leurs petits-enfants ne coïncide pas avec les attentes des parents. Des exemples comme ceux-là regorgent dès que vous y prêtez attention, chez le coiffeur, au marché ou dans la clinique des consultations.

Davantage complexe : le business en famille

Il n’est pas rare que deux ou plusieurs membres d’une famille se soient asso-ciés pour exercer une activité pro-fessionnelle. Société entre conjoints, commerce entre frères et sœurs, étude notariale entre père et belle-fille, salon de coiffure entre fille et belle-mère, etc. Toutes les conformations familiales sont possibles dans toutes les formes juri-diques et pour tous les types d’activités.
Ici, ce n’est pas trop chez le coiffeur ou au marché que vous entendrez le plus de disharmonies dans ce type de busi-ness mais plutôt chez les médecins gé-néralistes, chez les notaires ou dans les consultations de santé mentale. Car ces conflits sont le plus souvent étouffés intérieurement jusqu’à ce qu’ils soient si intenses qu’ils demandent une réelle prise en charge stratégique, souvent après de longues années d’enlisement.
Exercer une activité professionnelle demande automatiquement de communiquer et de trancher mille et une questions sur l’argent, le temps, l’implication des uns et des autres, qui décide de quoi, comment se transmettent les parts, comment renouveler les pratiques de la société.

Et comme vu supra, la famille transmet au-tomatiquement des ressentiments. Ceux-ci peuvent - s’ils ne sont pas maîtrisés et guéris – interférer dans les mille et une décisions de la vie d’une activité commerciale.

Vivre une activité professionnelle en famille implique de partager plus de temps ensemble. Si ce temps n’est pas harmonieux, la relation de couple ou les relations familiales sont auto-matiquement abîmées et peuvent enclencher plus rapidement qu’ailleurs des implosions psychiques ou des explosions relationnelles. Il ne faut pas sous-estimer le fait qu’exercer une activité professionnelle en famille dans l’harmonie exige une grande force intérieure et un très grand alignement à soi-même.



Le temps d’une famille à tous les âges

Pour corser le tout, une famille, c’est aussi une relation au temps très différente selon la génération à laquelle on appartient. L’enfance n’est que mouvement très rapide mais de-mande une forme de stabilité. L’adolescence est mouvement ultra-rapide et exige du mou-vement, de l’exploration, des changements. Le début de l’âge adulte amène aussi de nom-breux changements, le rythme est soutenu, puis vient souvent une phase de consolidation où les changements vont s‘apaiser. Puis vien-dront les crises de la quarantaine et de la cin-quantaine qui amènent aussi leur lot de chan-gements et un besoin de renouveau. L’âge de la maturité et de la sagesse, lui, ralentit les changements, il y a une forme de consolidation.

Un repas de famille en présence de deux, trois ou quatre générations à Noël, et ce sont toutes ces dynamiques temporelles qui se côtoient le temps d’une soirée ou plus. Vu comme cela, ce n’est pas si simple. Entre l’aspiration à un certain calme des aînés, les adolescents qui désirent bouger, expérimenter, les parents qui sont au milieu de tout ceci… et pris eux aussi dans des conflits de double loyauté…
Oxygéner les relations familiales, cela pourrait signifier ici sortir des schémas classiques : que les grands-parents amènent du changement pour surprendre les adolescents, que les pa-rents se soient concertés avec les enfants pour co-créer la fête ou le repas, qu’un grand jeu soit organisé dans la famille, ou une balade, ou que la messe de minuit soit remplacée par une prière en famille pleine de musique et de spontanéité dans une chapelle en forêt.

La répétition amène la lassitude

En cuisine comme au lit, en famille comme au boulot, la répétition ne s’accommode pas trop de notre envie d’exploration, de renouveau, de découvertes. Que la tradition nous invite à des retrouvailles ne doit pas forcément en-trainer que l’invitation devienne une obliga-tion. Il s’agit de ne pas devenir prisonnier des traditions. Une tradition a d’ailleurs besoin de s’adapter à son contexte. Elle doit se faire désirer, être réjouissante. Partout où les traditions sont vivantes, joyeuses, elles restent « désirables » et savent s’adapter juste comme il le faut à leur contexte.

Un maître brasseur nous témoignait il y a peu de temps que bien que les bières d’abbaye soient vendues par le marketing de la tradi-tion et soient basées sur des recettes multi-centenaires, si nous buvions les mêmes bières qu’au Moyen-Age, nous les recracherions car leur goût nous paraîtrait imbuvable. Les goûts ont évolué. Ce témoignage nous montre que le non-changement est sans doute la meil-leure voie pour s’enliser et même vivre un certain dégoût.

Oxygéner les liens familiaux

Tous ces micro-conflits sont pourtant so-lubles, non pas dans l’excès de vin de Bor-deaux à Noël, mais par le dialogue profond, la communication, le travail sur soi, etc.
Oserons-nous co-créer des repas de fêtes cha-leureux ? S’accorder ensemble pour créer ce qui enchante tous les participants ou allons-nous reproduire les mêmes schémas connus ?
Au-delà du moment de fête, toutefois très court, la perspective des préparatifs pourrait certainement être un moment précieux pour aller vers cette paix de la rencontre.
Oserons-nous glisser une petite carte d’ex-cuse à notre belle-fille en raison d’une parole maladroite prononcée dans la tension d’un conflit il y a sept ans ? Oserons-nous organiser avant Noël une réu-nion de famille pour écouter, dialoguer et trancher sur des questions relatives à l’acti-vité professionnelle afin de célébrer le temps de Noël expurgé de tensions non résolues ?
Oserons-nous embrasser une sœur qui a fait un choix différent après avoir guéri le ressen-timent qui s’est installé entre nous de par son manque d’accueil de notre différence ?
Oserons-nous nommer et reconnaître les talents de chacun qui sont restés tus jusqu’à présent parce qu’anciennement mal vus ?
Noël nous invite à ouvrir les portes et fenêtres du Cœur pour laisser aller l’ancien et les res-sentiments, pour installer la paix. Et signe d’une tradition vivante, le sapin vert dans la chaumière est bel et bien vert, couleur sym-bolique du renouveau alors que la nature s’est endormie.

Raphaël Dugailliez



Paru dans l'Agenda Plus N° 283 de Décembre 2016
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