Incroyable cerveau !
Interface vivante entre le visible et l’insvisible, le cerveau humain est l’entité la plus complexe de l’univers actuellement connu. Les recherches en neurosciences se multiplient et repoussent sans cesse les limites pour tenter de le comprendre, tandis que d’autres études convergent vers la fin de l’ancien paradigme selon lequel la conscience serait le produit du cerveau… Plongée au coeur des neurones.

Nous l’avons souvent entendu : les neurones de notre cerveau sont en nombre limité et ne se renouvellent pas ; à partir de l’âge adulte, nous en perdons chaque jour, irrémédiablement… Rien n’est moins vrai ! Nous croyons encore qu’il en est ainsi, car ce dogme scientifique a véhiculé cette fausse vérité durant des décennies. Aujourd’hui, c’est une croyance périmée et elle n’est pas la seule. Les découvertes en neurosciences démontrent que non seulement nos neurones se régénèrent, mais que de nouveaux peuvent constamment se créer et remodeler notre architecture cérébrale, donc notre perception du Réel.
En guise d’introduction, faisons un bref détour historique afin de rappeler que le terme «neurosciences», apparu fin des années ’60, désigne la branche des sciences biologiques qui s’intéresse à l’étude du système nerveux, tant du point de vue de sa structure que de son fonctionnement, depuis l’échelle moléculaire jusqu’au niveau des organes. Néanmoins, en tant que discipline scientifique, les neurosciences se situent dans la lignée d’une démarche scientifique bien plus ancienne qui a reçu diverses étiquettes suivant les époques et les méthodes qu’elle a employées. Si le nom d’Hippocrate reste associé à la découverte du rôle du cerveau dans les fonctions mentales, l’histoire de ce que l’on désigne aujourd’hui comme la neurologie et la psychiatrie prend ses origines dans les traités médicaux de l’Égypte ancienne et passe par les écrits des médecins romains, puis arabo-musulmans, pour arriver aux travaux de Descartes. Mais c’est au 18ème siècle que sera véritablement lancée l’étude du fonctionnement du système nerveux grâce à la découverte de la «bioélectricité », dont le médecin et physicien Luigi Galvani fut l’un des pionniers. Parallèlement, à la fin du 19ème siècle, ce seront les progrès dans l’optique et la chimie qui permettront de découvrir la structure et l’organisation des neurones. Enfin, toujours à la même époque, l’étude scientifique des patients souffrant de lésions cérébrales formera les prémisses de la «neurologie expérimentale» et de l’étude des fonctions mentales [cognitives] du système nerveux, future neuropsychologie.
Aujourd’hui, l’étude du système nerveux passe donc par de multiples approches qui suivent deux grandes directions :
• une approche dite «ascendante» qui étudie les briques de base du système nerveux pour essayer de reconstituer le fonctionnement de l’ensemble ;
• une approche dite «descendante» qui, en étudiant les manifestations externes du fonctionnement du système nerveux, tente de comprendre comment il est organisé et comment il fonctionne.
Ces deux démarches se rencontrent aujourd’hui au carrefour formé par l’imagerie cérébrale et plus généralement par les neurosciences cognitives.
Même si l’activité la plus médiatisée des neurosciences reste l’atlas neuro-fonctionnel du cerveau, de nombreuses autres sont en plein essor, comme par exemple la neuropsychologie. Une meilleure connaissance des pathologies neuronales est aussi un domaine considéré crucial, notamment avec l’augmentation des pathologies neurodégénératives.
On peut aussi citer le développement de la neuroéconomie. Dans ce dernier domaine, les recherches auraient montré que certaines décisions dans des secteurs censés être rationnels [achats et ventes en bourse] seraient souvent liées à de fortes excitations et émotions, mettant en jeu des zones du cerveau associées au plaisir ou à la souffrance. Cela ouvre la voie à l’exploration du rôle des émotions dans le processus de décision, quel qu’en soit le domaine.
Ces dernières années, les recherches et les applications des neurosciences, à l’image des réseaux neuronaux qui se sont complexifiés et spécialisés au fil de l’évolution, brossent un tableau de plus en plus vaste de ce que représente notre interface cérébrale. Parcourons quelques-unes des découvertes les plus intéressantes.
Une étonnante plasticité
Même si nos lobes corticaux sont très spécialisés - les images visuelles sont traitées à l’arrière du crâne, nous entendons et parlons «sur les côtés » du cerveau [aires de Broca et de Wernicke], nous prêtons attention et analysons avec nos lobes frontaux - les fonctions des différentes zones peuvent se modifier. Sous la pression d’une urgence ou d’une intense motivation, une zone peut même remplir la fonction d’une autre ! Un des exemples les plus étonnants de cette «suppléance corticale» nous vient des appareils permettant aux aveugles de «voir» avec leur langue ou via la peau de leur dos, en stimulant la zone de leur cerveau en principe destinée aux perceptions tactiles. Si un aveugle peut apprendre à «voir par la peau», c’est que le cerveau est un organe à la plasticité vraiment très modulable !
Des super-réseaux neuronaux
Imaginons l’intérieur de notre crâne : 100 milliards de neurones, chacun doté de 1.000 à 10.000 connexions, assisté de centaines de milliards de cellules gliales, le tout relié électriquement et chimiquement grâce à une centaine de neuromédiateurs.
Fermez les yeux et pensez au visage d’un être cher… Vous venez - à l’instant - d’activer un réseau de quelques dizaines de millions de neurones ! Les trillions de milliards de réseaux possibles forment une entité organique vivante en reconstitution permanente. Une synapse n’y retrouverait pas ses petits…
«Et si nous perdons un neurone par seconde, nous savons désormais que de nouveaux neurones naissent constamment», explique le Pr. Mazoyer qui dirige le Groupe d’imagerie neurofonctionnelle de Caen. De nouveaux neurones ? Même chez les seniors ? Un dogme s’écroule ! Mieux : on sait maintenant que toute expérience - physique, fonctionnelle ou mentale - fait naître ou remodèle en nous un réseau neuronal. Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik précise : «la plasticité neuronale explique, dans le sens négatif, les atrophies cérébrales des enfants abandonnés et, dans le sens positif, la possibilité d’une résilience.» Les neurones d’enfants «ramollis» par l’abandon, sous l’influence d’une nourriture affective, même tardive, se connectent les uns aux autres en autant de nouvelles synapses : «l’irruption de l’amour, poursuit-il, fait littéralement pousser les dentrites [connexions neuronales], comme des tiges de blé jaillissent d’une terre soudain arrosée.»
A 100% de ses capacités
Une autre idée reçue, selon laquelle nous n’utiliserions qu’une partie de nos capacités cérébrales, s’effondre également. D’un point de vue neuronal, c’est faux. Le Pr. Mazoyer explique, en effet, que notre cerveau travaille à 100% de ses capacités et sans réserve d’énergie, que l’on soit éveillé ou endormi. Mais seulement 1% de cette activité est «cognitive », c’est-à-dire accessible à la conscience. «Tout ce qui nous sert à penser, parler, inventer, décider ou bouger ne prend que 1% de l’énergie cérébrale. Le cerveau se sert des 99% restants pour confirmer et reformater sans interruption, à sa guise, tous nos réseaux neuronaux», poursuit le Pr Mazoyer. Bref, nous savions que notre vision du monde était à 100% «interprétée» par notre cerveau, mais nous ignorions que ce dernier retravaillait en permanence, à notre insu, tous nos réseaux.
Notons que pour certains chercheurs particulièrement intuitifs, les réseaux neuronaux sont assimilés à des antennes réceptrices et émettrices qui «captent» des informations stockées hors de notre cerveau [et même hors de notre dimension matérielle]. Ainsi, leur remodelage continu modifie sans cesse notre faculté à mémoriser ou rechercher des informations. En d’autres termes, ces modifications structurelles affectent directement l’accès à nos souvenirs et la façon dont nous mémorisons le présent, c’est-à-dire nos «futurs souvenirs» !

Organe social & neurones-miroirs
L’idée d’une «intelligence relationnelle» n’est pas neuve. Le psychologue Edward Thorndike en parlait déjà en 1920. Mais ce n’était qu’une intuition. Les récents et fulgurants progrès de l’imagerie corticale ont permis de la confirmer scientifiquement. Le cerveau est véritablement un organe «neuro-social». Selon les neuropsychologues, la sélection naturelle a favorisé les cerveaux altruistes grâce, notamment, à nos «neurones-miroirs». Ces derniers sont une catégorie de neurones du cerveau qui présentent une activité lorsqu’un individu exécute une action ou lorsqu’il observe un autre individu [en particulier de son espèce] exécuter la même action ou encore lorsqu’il imagine une telle action. En neurosciences cognitives, les «neurones-miroirs» joueraient un rôle dans la cognition sociale, notamment dans l’apprentissage par imitation, mais aussi dans les processus affectifs, tels que l’empathie. Le Pr Ramachandran, une autorité dans le domaine, les appelle d’ailleurs «neurones empathiques». «Grâce à eux, nous ressentons la souffrance de l’autre et, en le secourant, nous cherchons également à nous soulager nous-mêmes.» A méditer… Auteur du best-seller «Cultiver l’intelligence relationnelle », le psychologue Daniel Goleman prévient : «L’enjeu crucial du XXIème siècle sera d’élargir le cercle de ceux que nous considérons comme «nous» et de réduire le nombre de ceux qui nous apparaissent comme «eux». Quand il est épanoui, notre cerveau social nous relie à toute l’humanité.» [I like !]

Une conscience non-locale ?
La conscience est-elle produite par le cerveau ou existe-t-elle en soi ? La question fait débat depuis des millénaires et relève d’un dialogue insoluble entre matérialistes et spiritualistes. Pour paraphraser Albert Einstein, on pourrait dire que l’on ne peut résoudre le problème avec le mode de pensée du cerveau qui l’a engendré… Néanmoins, des découvertes alimentent ce débat de façon inédite. Déjà, en 1998, le neurologue Matthew Botvinick mène théoune étonnante expérience : on camoufle le bras d’un sujet sous une nappe et, à côté de sa main gauche posée sur la table, on place une fausse main droite en plastique que quelqu’un caresse, tandis que sous la table on caresse aussi la main cachée. Au bout d’un moment, le sujet a la sensation que la main en plastique est à lui, au point de vraiment ressentir quelque chose quand on ne caresse qu’elle ! Mieux : fin 2011, l’Australien Lorimer Moseley, de l’université d’Adélaïde, révèle que ce ressenti illusoire faisait chuter l’immunité du bras caché, autrement dit que ce dernier n’est plus considéré par le cerveau comme une partie du corps !

Notre aptitude à différencier le moi du nonmoi, base de la conscience [telle que définie actuellement par la science], peut donc être influencée par un trompe-l’oeil, le cerveau ne faisant pas la différence entre la réalité, le rêve ou l’imaginé. Mais alors, si une subjectivité pure peut tromper le cerveau, n’est-ce pas que la conscience est indépendante de celui-ci ?
Par ailleurs, si l’on analyse les dizaines d’études sur les E.M.I. [Expérience de Mort Imminente - N.D.E. en anglais], notamment celles supervisées par le Dr Pim Van Lommel pendant plus de 8 ans sur des centaines de patient atteints d’arrêt cardiaque, force est de constater que les théories avancées pour expliquer la délocalisation de la conscience au moment des E.M.I. - le manque d’oxygène, la peur de la mort, les drogues, les hallucinations ou même l’affabulation - sont totalement fausses. Il existe désormais un faisceau de faits, scientifiquement établis, qui convergent tous dans le sens d’une indépendance de la conscience. Celle-ci serait juste «captée» par le cerveau-récepteur durant la vie terrestre.
Comme l’explique Bruce H. Lipton, Docteur en biologie cellulaire : «à la surface de quasiment toutes nos cellules se trouvent de petites protéines, comme des antennes-télé miniatures. Et chaque être humain possède un jeu différent d’antennes. Mais ces antennes ne contiennent pas le programme de l’émission. Non, les antennes reçoivent le programme et l’envoient au téléviseur. Notre identité ne vient donc pas de l’intérieur de la cellule, mais d’une transmission extérieure à la cellule. Si un jour la télévision ne fonctionne plus, nous pouvons dire qu’elle est morte, mais le programme estil arrêté pour autant ? Nos cellules reçoivent l’émission «moi» et si notre corps meurt, qu’arrive-t-il à l’émission ? Elle est toujours là, attendant qu’un autre «poste» avec les mêmes cellules-antennes puisse la capter et continuer sa diffusion.» On entrevoit toute la portée métaphysique de la théorie défendue par le Dr Lipton...

Poussons un cran plus loin : certains des physiciens quantiques les plus audacieux vont même jusqu’à expliquer que, non seulement, la conscience n’est pas produite par le cerveau, mais, à l’inverse, le cerveau et la totalité du monde apparemment «matériel» ne seraient qu’une pure production de la Conscience, avec un grand «C» !
Les implications radicales de ces nouvelles visions sont tout bonnement révolutionnaires. Peut-être parce qu’elle sont émises par des scientifiques et que notre cerveau gauche a besoin d’être «rassuré» ? Toutes les philosophies, traditions spirituelles et religions du monde convergent pourtant dans cette direction depuis toujours et font écho à ce que de plus en plus d’individus ressentent dans leur coeur, notre «cerveau de l’amour». Mais cela, c’est une autre histoire…
Olivier Desurmont
Références :
«Le cerveau sur mesure» de J-D. Vincent et P-M. Lledo chez Odile Jacob, «Le cerveau de Bouddha» de R. Hanson et R. Mendius aux Ed. Les Arènes, «Voyage au-delà de mon cerveau» du Dr Jill Bolte Taylor aux Éditions J.- C. Lattès, «Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner», collectif co-éditions Clés & Albin Michel [voir ci-dessus], articles de Patrice van Eersel [Nouvelles Clés – Notre cerveau est génial], Le Monde du Graal & Wikipédia.
Paru dans l'Agenda Plus N° de