Humilité grandeur de l’infime
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Humilité grandeur de l’infime



Qu'est-ce que l'humilité ? En quoi cette qualité est-elle si importante ? Serait-elle le secret pour réinventer un monde plus respectueux ? Une vertu essentielle émanant de notre vraie nature ? Tour d’horizon et audelà…



Dans nos sociétés modernes, certaines qualités et vertus semblent avoir perdu leurs lettres de noblesse. C’est le cas de l’humilité qui est souvent mal comprise, parfois critiquée ou tout simplement considérée comme un trait religieux désuet, voire une faiblesse de caractère.
L’humilité semble ainsi reléguée aux coulisses du théâtre du paraître qu’est devenu le monde contemporain. Ce monde façonné par les médias de masse et autres réseaux sociaux qui offrent en fl ux continu des conseils sur la façon de « s’affi rmer », de « faire bonne impression », d’« être à son top »… et mille astuces pour toujours mieux paraître au détriment de la simplicité d’Être. Cette quasi obsession d’une image positive que l’on veut montrer au monde est telle que l’on ne se pose même plus la question de l’infondé de ce paraître. Peu importe que la coquille soit vide, du moment que la coquille soit belle… vive Instagram !
Pourtant, comme écrivait La Rochefoucauld : « nous gagnerions plus à nous laisser voir tels que nous sommes, que d’essayer de paraître ce que nous ne sommes pas… »

Hubris et humilité
L’humilité fait pourtant partie de la pensée humaine depuis des millénaires. Elle est étroitement liée à la position de l’Homme au sein du Grand Tout. Essentielle dans la tradition chinoise, ainsi que dans la Grèce antique, le concept d’humilité est d’ailleurs présent dans la plupart des traditions philosophiques et religieuses.

Pour les anciens Grecs, l'humilité était discutée dans le contexte de l’orgueil (hubris) et l’un des principaux mythes à son sujet est l’Iliade d’Homère. Dans cette histoire, Achille n’est pas le héros comme on peut le croire aujourd’hui, les anciens estimaient au contraire que les actions de cet anti-héros étaient une conséquence directe de son orgueil. Ainsi, pour les anciens Grecs, au lieu d’être arrogant et de ne considérer que notre propre destin, nous devrions plutôt faire preuve d’humilité. Et comme « un excès d’orgueil ne mène qu’à la vengeance des dieux », il est du devoir de l’être humain de s’exercer à l'humilité.

Au fi l des siècles, les religions ont ajouté leurs propres interprétations de ce que signifi e être humble. Alors que de nombreuses traditions religieuses continuent à privilégier l'humilité comme moyen « d'éviter une punition de Dieu », elles l'abordent non pas par orgueil comme les Grecs, mais par rejet de l'égoïsme. Pilier central dans le christianisme, cette vertu y est davantage en lien avec la reconnaissance des limites de l’Homme par rapport à Dieu.

De nos jours, nombreux.ses sont celles et ceux qui associent l’humilité à un manque d’estime de soi et de confi ance en ses propres capacités, voire même à un ‘refuge pratique’ pour les timides, les introvertis et les caractères « réservés ». Façonné par la culture de la compétition et du développement personnel égotique, certains de nos contemporains ne reconnaissent pas les bienfaits de l’humilité. Pourtant, si « la suffi sance est le privilège du fou », l’humilité est une magnifi que qualité : celle de l’individu qui a pris la mesure de tout ce qu’il lui reste à apprendre et du chemin qu’il lui reste à parcourir.

Comme le souligne le moine bouddhiste français Matthieu Ricard : « Les gens humbles ne sont pas des gens beaux et intelligents qui sont fi ers de se convaincre qu’ils sont laids et stupides ; ce sont des gens qui ne font pas grand cas de leur ego. Ne se considérant pas comme le centre de l’Univers, ils s’ouvrent plus facilement aux autres et sont surtout conscients de l’interconnexion entre tous les êtres. »

Rien à perdre ou à gagner
Ainsi, la différence entre une personne orgueilleuse et un individu humble, c’est que si ce dernier est félicité, il pensera spontanément que c’est pour ce qu’il a accompli et non pas pour lui-même. S’il est critiqué, il pensera qu’exposer ses défauts au grand jour est le meilleur service que l’on puisse lui rendre afi n de s'améliorer. Un bel écho aux sages tibétains qui nous rappellent que « le meilleur enseignement est celui qui révèle nos défauts cachés ».

Paradoxalement, l’humilité favorise aussi la force de caractère : l’humble prend ses décisions en fonction de ce qu’il ressent être juste et s'y tient, il suit les élans du coeur, sans se soucier de son image ni de ce que l'on dira de lui. En ce sens, c’est une véritable qualité. Une qualité que l’on ressent invariablement au contact des sages chez qui les vertus de l’Être se sont spontanément déployées.
L’humilité est d’ailleurs une composante de l’altruisme, puisque la personne humble est naturellement soucieuse des autres et attentive à leur bien-être. A l’inverse, des études en psychologie ont démontré que ceux qui se surestiment et se mettent en avant ont une tendance à une « agressivité supérieure à la moyenne »(1). D’autres études ont mis en évidence un lien positif entre l’humilité et la capacité à pardonner et le fait que les personnes qui se croient supérieures jugent beaucoup plus sévèrement les fautes des autres et les considèrent comme « moins pardonnables »(2).

Humilité vs fausse modestie
De nos jours, l’humilité est parfois mal perçue ou déforcée car elle peut être confondue avec la fausse modestie. Il est, en effet, relativement courant de prétendre diminuer nos réalisations face aux compliments que l’on reçoit. On pense ainsi que c’est un acte d’humilité alors qu’il s’agit souvent de fausse modestie. Et cette dernière est facile à débusquer. Si notre patron nous dit que nous avons fait du bon travail, l’attitude humble ne consisterait pas à répondre : « mais non voyons, ce n’est rien… » ou pire « je n’y suis pour rien… », mais plutôt à recevoir les éloges, en remercier le responsable et les autres membres de l’équipe qui nous ont aidé dans le processus — « Merci, c’est vraiment agréable d’avoir réalisé ce projet et satisfaisant d’avoir atteint les objectifs. Je suis également reconnaissant du travail de mes collègues. Je n’aurais pas pu le faire sans eux. »

D’un autre côté, nous ne devrions pas non plus nous forcer à devenir humble car nous pensons que c’est la bonne chose à faire pour devenir « un meilleur être humain » ou parce que nous imaginons que c’est ce qu’exige « notre chemin spirituel ». L’humilité est un élan intérieur qui se produit spontanément quand il est réalisé que nous ne sommes pas mieux ou moins bien que les autres et, par extension, de toutes les autres expressions de la Vie.
Il est néanmoins possible de favoriser une telle réalisation.

Une pratique anti-ego
Comme Saint Bernard de Clairvaux l’écrivait : « Il n’y a rien de plus effi cace pour acquérir l'humilité que de découvrir la vérité sur soi-même. Il ne doit y avoir aucune dissimulation, aucune tentative d’auto-tromperie, mais un face à soi réel, sans broncher ni se détourner. »
L’humilité nécessite donc une véritable honnêteté envers soi-même. Cette authenticité peut alors rayonner dans nos actions qui, dès lors, ne sont plus des prétextes pour recevoir plus de reconnaissance, gagner en renommée ou tout simplement être aimé…

L’humilité entraîne également la fi n des rivalités et concurrences, en particulier celles qui portent sur les réalisations personnelles. Elle peut même mettre fi n à la notion de comparaison. Le ‘mieux’ ou ‘moins bien’ disparaissent du champ de la conscience car le « moi » n’est plus au centre des perceptions. L’essence de l’humilité correspond en ce sens à une dissolution d’un « moi » exclusivement centré sur lui-même.

Au-delà du « moi »
Il est amusant de constater que l’étymologie du mot « humilité » — qui trouve ses racines dans le latin « humilis » qui signifi e « bas », littéralement « sur le sol » (de « humus » signifi ant « terre ») — couvre à la fois le sens d’être « humilié » ou d’être « humble ».
Dans le premier cas, l’importance est donnée au « moi », à cette entité séparée que nous croyons être et qui serait atteinte dans son amour-propre, sa fi erté, sa dignité… car déprécié par autrui. Dans le second cas, être humble peut être compris comme un changement de perspective, un retournement qui nous fait réaliser notre non-séparation d’avec le Tout.

En réalité, sommes-nous réellement ce « moi », cette entité agitée qui veut s’accomplir, s’améliorer ou qui pourrait être rabaissée, humiliée ? Ou, sommes-nous cet espace ouvert et conscient en amont de toute expérience et dont la nature même est déjà complète et inconditionnellement humble ?

La solution à nos états chroniques de souffrance et de confl it ne réside pas dans le fait d'avoir un moins bon ou un meilleur « moi », mais de réaliser la Paix profonde de l’Être, toujours disponible ici-maintenant. Cette réalisation toute simple pointe vers la véritable humilité.

(1) Bushman, B. J., & Baumeister, R. F. (1998)
(2) Exline J. J. & Baumeister, R. F. (2000)

Olivier Desurmont
Ressources :
• « Symphonie de l'humilité - Les secrets de la vie spirituelle avec les moines des premiers siècles » d’Emmanuel Faure chez Nouvelle Cité
• « L'humilité - Première des vertus » de Guy Gilbert aux Ed. Philippe Rey • blog de Matthieu Ricard.



Paru dans l'Agenda Plus N° 342 de Novembre 2022
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