Du producteur à l’utilisateur, court-circuitons la standardisation
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Du producteur à l’utilisateur, court-circuitons la standardisation



Les circuits courts sont déjà bien présents dans la filière alimentaire, à travers les groupements d’achats communs, solidaires. Ils témoignent d’un nouveau modèle économique fondé sur la juste relation commerciale entre producteur et consom’acteur. En route pour transposer le modèle dans d’autres sphères non alimentaires ?



Les paniers de légumes ont réouvert la voie

Aujourd’hui, grâce aux paniers de légumes d’agriculteurs wallons, tout le monde connaît les circuits courts. Mais ce mode d’achat ne se limite pas à la nourriture et aux produits issus de l’agriculture wallonne. De nombreux autres produits wallons empruntent des circuits plus courts avant d’arriver chez le consommateur. N’oublions pas non plus un point essentiel, au centre de ce commerce, la rencontre humaine. Elle crée un nouveau tissu de solidarité, de partage, un respect pour la place de chacun dans la chaîne humaine que nous formons, avec la prise de conscience de notre interdépendance, le respect de l’autre de son travail.

Réouverture de la voie car l’humanité a fonctionné plusieurs millénaires avec ces circuits courts. Les aînés doivent rire de ce retour aux sources, plutôt à l’évidence. Connaissez-vous une bâtisse d’exception en Wallonie réalisée avec du granit chinois ? Connaissez-vous une vieille horloge de cuisine réalisée avec des bois issus d’Inde ?

C’est que la mondialisation et la libéralisation du commerce et des échanges internationaux ont si fortement explosé les points de repères en si peu de temps qu’il en devient presque fou d’investir de l’énergie à contre-courant des logiques commerciales dominantes pour structurer ces initiatives d’importance pour le tissu économique et pour l’identité de nos régions.

Circuit court = triple bénéfice

Les circuits courts représentent de nombreuses opportunités de création, d’une part, de valeur ajoutée et d’autre part, d’emplois. C’est aussi une manière de s’assurer de la qualité du produit que l’on consomme car on sait d’où il provient et que ses conditions de fabrication sont respectueuses du progrès social et de la sécurité des travailleurs.
En réduisant le nombre d’intermédiaires, les circuits courts assurent un revenu équitable au producteur et un prix juste au consommateur. La logique de la grande distribution ne peut plus presser infiniment les marges et broyer les petits producteurs.
Le circuit court, grâce à la proximité géographique entre tous les acteurs, permet de réduire les impacts du transport et contribue à un environnement sain. Favoriser les circuits courts permet de mettre en valeur les produits locaux auprès des consommateurs souvent sensibles à l’origine des produits qu’ils consomment. Par une meilleure connaissance du tissu économique wallon, les entreprises wallonnes peuvent également se rendre compte de l’existence potentielle d’un grand nombre de partenariats avec d’autres entreprises de la région.

Circuits courts non alimentaires ?

Quels sont les produits non alimentaires qui font déjà et feront demain encore davantage partie des nouveaux circuits courts ?

• Dans les matériaux de construction : les pierres ornementales, la pierre bleue, le marbre d’ici, le parquet en bois de chez nous, les charpentes issues des sapins de nos forêts, l’argile en plafonnage d’ici, certaines peintures naturelles, de la ferronnerie d’art conçue chez nous, etc.
• Pour l’aménagement intérieur : les fabricants de poêles à bois, la fabrication de mobilier contemporain, les artisans d’art dans la décoration, etc.
• Dans la mode, stylistes d’ici, créations uniques ou production respectant des conditions équitables ;
• Pour la cuisine : les céramistes fabricants de vaisselle, les tourneurs sur bois pour les plats à salades, les fabricants de couteaux à l’ancienne, etc.
• Dans les instruments de musique : les luthiers, fabricants de cornemuses et d’autres instruments.
• En horticulture : fournitures d’arbres, arbustes et fleurs, etc.
• Dans le bricolage : fabricants d’outils, fournisseurs de matières premières, créateurs d’objets uniques en mécanique par exemple ;
• Pour la fourniture de bois de chauffage, de pellets, etc.

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Politiquement, cela bouge !
La Wallonie n’a pas souhaité rater le train du développement de cette forme de croissance économique endogène absolument nécessaire pour le développement économique d’un territoire. Face à ce constat, et dans le cadre de sa politique de promotion transversale du développement durable à travers les politiques publiques du PlanMarshall2.vert [PM2.V], le Gouvernement wallon a décidé de mettre en place un Centre de référence dédié aux circuits courts en Wallonie au sein de l’Agence de l’Entreprise et de l’Innovation. Le Gouvernement lui a accordé un budget de 823.000 euros [PM2.V] pour l’activité du Centre durant 3 ans. Une équipe de 4 personnes est constituée pour mener plusieurs missions parmi lesquelles :
• Être un point de contact pour toute structure d’accompagnement et ou de sensibilisation désirant être au fait des bonnes pratiques en matière d’approche circuit court. Pour les circuits courts alimentaires, le Centre se basera notamment sur l’expertise du guichet unique «Diversification et transformation des produits agricoles» mis en place par le Ministre de l’agriculture ;
• Constituer, actualiser et diffuser un catalogue des acteurs directs et indirects des circuits courts en Wallonie ;
• Organiser une veille wallonne et internationale sur les initiatives en circuit court et avoir un rôle de diffusion des pratiques les plus innovantes et durables ;
• Favoriser l’émergence de projets circuits courts durables innovants.

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La porte de Léa


En entrant dans un magasin de bricolage, vous désirez acheter une porte pour la nouvelle chambre dont vous finalisez l’aménagement pour Léa, votre petite dernière. Vous regardez et vous vous étonnez plus que jamais, vous qui aimez le bois, sa texture, sa longévité que «l’effet canada dry» soit désormais le standard dans le commerce. Le choix de portes ne manque pas, mais vous sortez perplexe du magasin. Vous vous demandez ce qui est encore en bois tant nombre de produits sont en simili bois, vous vous demandez dans quelles conditions cela a été produit, d’où viennent les matériaux, quelles colles ont été utilisées. Black out sur l’information par manque d’humanisation. Le personnel du magasin de bricolage ne sait répondre à vos questions.
Puis, il vous vient l’idée de rendre visite à un scieur et grossiste en bois. Voiture parquée, les parfums de sève d’arbres sont déjà là pour vous dire que là, cela sent la vie, la forêt, la ressource qui a une histoire, presque une âme.
A l’accueil on vous reçoit, et après quelques questions sur vos besoins, on vous recommande d’aller voir et de découvrir les échantillons. Là, vous vous rappelez que les essences de bois ont chacune leur particularité, leur noblesse. Dessin des veines, dureté, couleur, odeur, etc. Toucher les essences, c’est déjà se connecter au vivant. Le toucher du chêne vous relie à l’arbre, sentir l’aulne et vous voilà comme lui les pieds dans l’eau.
L’arrivée du contremaître de la scierie vous sort de votre moment de rêverie avec ses grosses chaussures et sa poignée de main à la hauteur de sa force pour vous inviter en toute sécurité à venir voir les étapes de transformation du bois dans l’atelier. Vous reprenez conscience que, produit finalement très commun, il n’en reste pas moins que son façonnage nécessite complexité, expérience et connaissance du produit.
Quinze minutes de visite vous illustrent la chaîne de l’arbre à la porte de la chambre de Léa : arrivé en grume, scié en boule, séché, déligné, raboté, coupé, collé, traité, poncé, etc. Quinze minutes pour découvrir en condensé le chemin qui dure un an de travail. Pour découvrir le savoir-faire, l’expérience, la fierté des hommes qui gèrent l’entreprise, aiment la ressource.
Et là, le déclic. Il est évident que la porte de Léa, comme elle, sera conçue avec une histoire, avec la conscience du lien qui la relie. Vous prenez estimations des prix, des exigences techniques pour pouvoir passer commande. Parfois un peu plus cher que dans un «brico», mais est-ce le même produit ? Non ! Est-ce la même aventure humaine pour la même fonction ? Non ! La première est aseptisée, l’autre transpire de tout ce vécu, de cette chaîne de la forêt à votre maison. Cette porte aura une histoire à raconter à Léa.



Se relier à l’humanité et à la Terre

La logique du circuit court nous relie aussi à l’histoire de l’objet, l’humanise. En voyant une porte il y a en vous naturellement cette gratitude que l’arbre est devenu menuiserie d’intérieure, que le sous-sol de la colline est devenu banc ou boîtes aux lettres, que tel arbuste a produit une pièce incontournable dans votre guitare, que la sève d’un autre arbre est la base du traitement de votre cornemuse. Cette conscience-là est reliance. Elle nourrit le lien entre l’objet et son utilisateur, elle nous relie au vivant, autant par son origine en termes de ressource naturelle que par les apports de toutes les personnes qui ont apporté leur amour du métier et leur expérience pour façonner le produit. Chaque personne de la chaîne y a incrusté son amour du travail, sa marque. L’objet est donc riche de tout cela ! Il peut ainsi vous rendre tous ses acquis.



En optant pour les objets à plus petit tirage, on évite aussi les « démons » de la standardisation. Chaque objet respire la créativité, rompt la monotonie, rayonne sa singularité, son histoire à lui, parfois même ses imperfections qui le rendent humain. Ce n’est pas la machine ou le robot qui a produit un million de fois la même porte ou le même vase avec cette illusion de faire une bonne affaire en croyant comme du pain béni que le rapport qualité/ prix nous est favorable. L’opacité des filières à multiples étages [comme la grande distribution mais pas que celle-ci] devrait plus nous inciter à un retour aux sources, à l’artisanat, aux circuits courts.

Quiconque a déjà dégusté une fine cuisine dans une vaisselle créée par un céramiste aura déjà goûté que le repas est une fête par la simple présence des formes, des matières et des couleurs. Repenser au sourire du céramiste qui vous a expliqué son travail en vous vendant ses pièces et repenser à la ville wallonne visitée où vous avez croisé ce céramiste font partie aussi de la fête.

Raphaël Dugailliez

Contacts circuits cours à l’ASE : Laurence Lambert, coordinatrice du Centre de référence des circuits courts, Auprès de l’ASE [Agence de Stimulation économique de la Région wallonne] • Tél : 04 230 12 29 • lla@as-e.be.



Paru dans l'Agenda Plus N° de
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