Internet : le coût caché de l'écosystème numérique
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Internet : le coût caché de l'écosystème numérique



Internet et l’ensemble des nouvelles technologies consomment chaque année environ 10% de la production mondiale d’électricité. Le simple fait de regarder une heure de vidéo sur Internet consomme davantage d’électricité qu’un réfrigérateur pendant toute une année ! L’écosystème numérique serait-il devenu un gouffre énergétique ?



World Wide Web
La première utilisation documentée du terme «internet» remonte à octobre ’72, au cours de l’ «International Conference on Computer Communications» à Washington. Un internet [avec «i» minuscule] désigne un réseau constitué de l’interconnexion de plusieurs réseaux informatiques au moyen de routeurs. Par extension, «the Internet» [avec un article et une majuscule] est devenu le réseau des réseaux et, en tant qu’objet unique, est désigné par un nom propre. Cette cyber-structure est composée de millions de réseaux aussi bien publics que privés, universitaires, commerciaux et gouvernementaux, eux-mêmes regroupés en 47.000 réseaux autonomes1. L’information est transmise grâce à un ensemble standardisé de protocoles de transfert de données, qui permet l’élaboration d’applications et de services variés comme le courrier électronique, la messagerie instantanée, le pair-à-pair et le «World Wide Web».
Inventé par Tim Berners-Lee et Robert Cailliau, le «World Wide Web» [WWW] est souvent confondu avec Internet par le public non averti. Le «World Wide Web», littéralement la «toile [d’araignée] mondiale», n’est pourtant que l’une des applications d’Internet. C’est un système hypertexte public qui permet de consulter, via un navigateur, des pages accessibles sur des sites. L’image de la toile d’araignée vient des hyperliens qui lient les pages web entre elles.

On notera au passage que le «w» correspond à la lettre hébraïque « v », prononcé «vav», dont la valeur numérale est le «6» — chaque site Internet étant précédé d’un «www» ou «666», quelques auteurs y voient une analogie avec la «marque de la Bête» évoquée dans l’Apocalypse de Saint Jean.


Envoyé d’un simple «clic»

Que savons-nous précisément des coulisses de la gigantesque cyber-architecture d’Internet ? Et mème, à plus petite échelle, que savons-nous du voyage réalis. par un message .lectronique envoyé d’un simple "clic" ? Le réseau des réseaux est loin d’être virtuel, il possède un corps. On le trouve caché sous nos trottoirs, enfoui sous nos rues ou encore immeré. sous la mer. Les routes de l’information virtuelle représentent une infrastructure de réseau très lourde : des millions de kilomètres de cuivre, des millions de kilomètres de fibre optique, des millions de serveurs. D’un ordinateur à l’autre, indépendamment de leurs localisations, les données numériques parcourent, en moyenne, près de 15.000 km à la vitesse de la lumière [± 300.000 km/sec.]. En quelques millisecondes, elles traversent ainsi un dédale insoupçonné d’infrastructures informatiques à travers la planète entière.

Démonstration avec l’envoi d’un simple «courrier électronique » ou «courriel» :

Notre "courriel", transformé en flux binaire, quitte notre ordinateur et arrive à notre modem ou "box". De là, il sort de notre logement et rejoint les autres courriels du quartier via une des "armoire de télécommunication" disposée sur un des trottoirs voisins, avant de se rendre au centre de raccordement, le premier aiguillage du réseau. Là, notre message rejoint un foisonnement de câbles nationaux et même internationaux. A partir de maintenant, le voyage de notre courriel prend des allures de tour du monde.

Les données peuvent emprunter des milliers de routes différentes, passer par le Japon ou l’Angleterre, elles sont orientées tout au long de leur parcours par des routeurs, les "aiguilleurs du réseau". Halte aux Etats-Unis, chez l’hébergeur de notre messagerie, par exemple "Gmail" [cela pourrait aussi être Hotmail ou Yahoo]. Dans cette usine numérique de l’information, appelée "Data Center", notre courriel est traité, stocké et enfin réorienté afin de refaire tout le trajet en sens inverse, toujours à la vitesse de la lumière, jusqu’à la boîte mail du destinataire qui, notons-le au passage, pourrait très bien être le collègue de l’étage inférieur ou un voisin de la rue… Bref, derrière l’envoi d’un simple courriel se cache une facture importante. Celle de l’énergie nécessaire pour faire fonctionner l’ensemble du réseau et ses infrastructures. Et c’est sans compter que chaque courriel reçu sera stocké le temps de sa conservation. Si nous avons reçu un courriel en 2005 que nous n’avons pas effacé, les données sont stockées inutilement quelque part dans un "Data Center" depuis dix ans. Il existe donc des "centres de données" qui consomment l’énergie de villes de 200.000 habitants alimentées en continu, juste pour stocker des messages auxquels on n’accèdera plus jamais…

Un coût-énergie monumental

Mais quel est donc le coût-énergie de nos actions digitales cumulées ? L’"Agence française de l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie" a réalisé une étude sur la question. Les résultats sont stupéfiants : l’envoi d’un simple courriel avec une petite "pièce jointe" équivaut à l’utilisation d’une lampe basse consommation de forte puissance… pendant une heure ! Soit, en moyenne, 24 watt-heures. Sans pièce jointe, ce coût descend à 5 watt-heures. Ce n’est, en soi, pas énorme, mais multiplié par le nombre de mails et d’utilisateurs, la facture devient vite colossale. En effet, . chaque heure qui passe, 10 milliards de courriels sont envoyés ! Nous avons du mal à nous représenter ce chiffre ? 10 milliards de courriels c’est, en moyenne, 50 Gigawatt-heures, l’équivalent du fonctionnement de 15 centrales nucléaires pendant 1 heure ou, si vous préférez, de 4.000 tonnes de pétrole ou encore 4.000 allers-retours Bruxelles-New-York en avion… Tout cela pour seulement une heure d’échange de courriels sur le réseau ! Et c’est sans compter tout ce que l’on peut faire d’autre sur Internet. Pour fonctionner, un moteur de recherche comme Google exige en continu l’équivalent des besoins énergétiques des villes de Namur et Liège combinées…

Bref, l’ensemble des infrastructures numériques mondiales consomme à peu près 30 milliards de watts, l’équivalent de la production de 30 centrales nucléaires. Et on estime que les "Data Centers" situés sur le sol américain représentent entre un quart et un tiers de cette consommation.

1ER DATA CENTER ZÉRO ÉMISSION DE CARBONE !

A Falun en Suède,à environ 200 km de Stockholm, l’entreprise FaluEnergi & Vatten vient de débuter la construction de l’EcoDataCenter, le premier centre de données à énergie positive sur Terre [ouverture prévue pour mars 2016].
"En hiver, l’excès de chaleur généré par les serveurs servira à chauffer la ville et le data center", explique Jan Fahlén, l’entrepreneur principal.
L’équipe s’appuiera ainsi sur un système de chauffage urbain, lui-même basé sur des énergies renouvelables [solaire, éolienne, hydraulique et biocarburants durables].
"En produisant de la fraîcheur grâce à la chaleur et inversement, nous sommes sûrs de pouvoir annoncer un bilan carbone négatif en un an !", conclut-il.




Voraces «Data Centers»

Avec 2,4 milliards d’utilisateurs, la consommation énergétique du réseau Internet le hisse au niveau d’autres secteurs industriels, faisant du stockage de données un sujet de plus en plus préoccupant d’un point de vue environnemental.
Un problème qui devrait devenir plus présent à mesure que la masse de données produites augmente : en 2016, on estime que cette quantité de données sera deux fois plus importante qu’en 2014... C’est ce que l’on appelle le "Big Data", un saut quantique qui double la quantité d’informations virtuelles tous les deux ans.
Déjà en 2015, à chaque minute : ce sont 100 heures de vidéo qui sont postées sur YouTube, 2 millions de recherches qui sont effectuées sur Google, 680.000 messages qui sont postés sur Facebook…

Les "Data Centers" s’emballent et doivent gérer 24h/24 le flux incessant de données. Selon une étude commandée par le New York Times en septembre dernier, on estime qu’en moyenne, entre 6 et 12% de l’énergie consommée par un "Data Center" est utilisée comme puissance de calcul. Le reste est "gâché" et ne sert qu’à refroidir les serveurs ou les ralentir pour les maintenir prèts à fonctionner à plein régime. Les climatiseurs représentent à eux seuls près de 40% de la facture énergétique d’un "Data Center". La dépense énergétique pour refroidir les serveurs 24h/24 est colossale, alors que cette précieuse chaleur fait défaut dans d’innombrables lieux habités partout sur la planète.

Cette inefficacité énergétique est en grande partie due à une relation de symbiose entre les utilisateurs qui exigent une réponse instantanée à leur clic, et des entreprises qui ne veulent pas prendre le risque de ne pas répondre à cette attente. Or, certains analystes préviennent qu’avec la croissance des quantités de données, nous nous dirigeons vers des coûts énergétiques et écologiques qui deviendront vite insoutenables. D’ici à 2025, les demandes énergétiques d’Internet pourraient bien être cinq fois supérieures à la consommation actuelle, soit la consommation de 150 centrales nucléaires… La question de l’efficacité environnementale des infrastructures du réseau des réseaux est donc centrale, tout comme une utilisation raisonnable en amont.



How Clean is Your Cloud ?

De nombreuses multinationales de l’informatique proposent désormais la formule "Cloud" à leurs utilisateurs. Plus besoin d’avoir une bibliothèque à la maison, ni de livres virtuels sur son disque dur, plus besoin d’une DVD-thèque ou d’une CD-thèque à domicile ou sur l’ordinateur ou la tablette, le "Cloud" [nuage] offre un espace de stockage illimité dont la gratuité donne l’illusion de la dématérialisation. Or, nous l’avons vu, les infrastructures cachées sont bel et bien matérielles et gourmandes en énergie. Sans compter que dans de nombreuses régions du monde, l’énergie électrique est encore produite par des centrales au charbon dont les fumées polluantes matérialisent on ne peut mieux le "Cloud"…

Nos courriels, nos photos et autres play-lists illimitées finiront-ils par polluer irrémédiablement notre monde ? Est-ce que tout cela en vaut vraiment le coût ?

En attendant, il est indispensable de totalement repenser la façon dont nous produisons notre énergie et faire du "renouvelable non polluant" une priorité.
Selon une étude récente de Wordless Tech, les investissements dans des "Data Centers" plus économes en consommation vont augmenter de 164% dans les quatre années à venir, réduisant de 33% leur consommation d’électricité. C’est un début.

Ce mouvement a, entre autres, été initié suite à la publication d’un rapport de Greenpeace "How Clean is Your Cloud ?" qui a fait office d’un véritable pavé dans la mare , en mettant pour la première fois les grands acteurs du web face à leurs responsabilités. Et cela a marché. Par exemple, Google vient ainsi de construire son premier "Data Center" écolo en Finlande pour profiter de l’énergie hydro-électrique abondante et de la température glaciale comme climatiseur naturel.

La 3ème Révolution

Aux côtés des efforts réalisés par les géants du web eux-mêmes, il y aurait peut-être une autre voie. Une voie qui utiliserait la structure d’Internet elle-même en la repensant entièrement. Cette solution, c’est celle proposée par l’économiste américain Jeremy Rifkin. D’après lui, les fondateurs d’Internet ont créé un réseau d’informations collaboratif et décentralisé sans aller jusqu’au bout des possibilités de ce réseau. Car Internet, ce n’est pas que de l’information en partage, cela peut aussi être de l’énergie en réseau. Ce que Jeremy Rifkin propose n’est ni plus ni moins qu’un saut quantique qui générera une société entièrement nouvelle.

Aujourd’hui, l’énergie est produite par un système pyramidal où des centrales non-renouvelables, au sommet, fournissent des logements à la base, sans communication entre les utilisateurs.

Avec les énergies renouvelables, on peut devenir son propre fournisseur d’électricité, mais toujours sans communication entre les producteurs.
La nouvelle voie proposée est un système collaboratif rendu possible grâce à la mise en réseau offerte par Internet. Ce qui permet de lutter contre la principale difficulté des énergies renouvelables : l’intermittence de l’énergie [il ne fait pas du vent ou du soleil tout le temps]. Chacun devient ainsi tour à tour fournisseur et consommateur d’énergie. Les rôles sont partagés sur Internet et les ressources sont mises en commun : c’est la "3ème révolution industrielle" proposée par Jeremy Rifkin. C’est effectivement une "révolution. potentielle, car cette convergence entre les nouveaux moyens de communication et les énergies renouvelables ne peut que bouleverser l’économie, la culture, la politique et remettre en question les systêmes pyramidaux, c’est-à-dire les fondements même de nos sociétés actuelles.

Ce système décentralisé et collaboratif pourrait aussi s’appliquer aux "Data Centers" de demain. Imaginons par exemple une fraction de ces installations au sein de chaque immeuble ou quartier : plus besoin d’utiliser de l’énergie pour refroidir les serveurs, la chaleur est directement utilisée pour chauffer les bâtiments ou reconvertie en électricité…
Start-up, entreprises, régions,… toutes construisent le monde de demain, mais cette révolution n’appartient pas qu’aux puissants. Chacun peut aussi agir à son propre niveau.
Ainsi, le fait d’effacer les courriels reçus via des plates-formes de webmail, limiter le stockage virtuel inconsidéré sur le "Cloud", quitter certains réseaux sociaux, oser "se débrancher" régulièrement [voir témoignage], apprendre . se désencombrer de données inutiles, etc, … participe à l’allègement du problème global. Evidemment, c’est infinitésimal au niveau individuel, mais ces petites gouttes multipliées par les 2,4 milliards d’utilisateurs que nous sommes peuvent devenir un puissant courant et modifier la donne. C’est notre part de cyber-colibri…

Olivier Desurmont

1 - chiffres publiés en 2014
2 - nom d’un rapport publié par Greenpeace ["Quelle est la propret. de ton Nuage ?"], consultable sur greenpeace. org/international/Global/international/publications/ climate/2012/iCoal/HowCleanisYourCloud.pdf
REFERENCES : Les dix plaies d’Internet - Les dangers d’un outil fabuleux de Dominique Maniez chez Dunod • Internet, et après ? de Dominique Wolton chez Flammarion • Le documentaire Internet la pollution cachée aux Ed. Montparnasse [voir rubrique "à écouter/à regarder"] • La nouvelle société du coût marginal zéro - L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme de Jeremy Rifkin aux Ed. Les Liens qui Libèrent.



Paru dans l'Agenda Plus N° de
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