La slow attitude, une mode ?
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La slow attitude, une mode ?



La slow attitude, une mode… ou un besoin ?
Ralentir permet de mieux vivre.
Alors, pourquoi la vitesse ?



Le développement des technologies a modifié fondamentalement notre vie quotidienne, essentiellement dans notre rapport à la gestion du temps. Nos rythmes s’adaptent à la demande de productivité. Et aucun domaine n’est épargné, même pas celui, basique, du temps imparti aux repas. En témoignent l’offre des plats tout préparés et la floraison des fastfoods de plus en plus nombreux. C’est par opposition au fastfood, dont le fer de lance est la restauration rapide, que Carlo Petrini, Piémontais, sociologue, journaliste et critique gastronomique, a créé en 1986 le slow food qui promeut la restauration lente.
Petrini se réfère à de nombreuses reprises à Anthelme Brillat-Savarin, le célèbre théoricien gastronome français, dont l’oeuvre « La physiologie du goût », parue en 1826, est remarquable d’intelligence. Pour lui, la gastronomie est une démarche de connaissance. Et Petrini d’embrayer : « Une gastronomie qui ne pense pas à la terre n’est pas juste ».
D’où une démarche que l’on peut qualifier d’éco- gastronomie où la priorité est donnée d’abord aux paysans et aux productions locales. Ce qui implique la sauvegarde de la biodiversité et de l’environnement.

Les villes lentes

Le mouvement du slow food, dont le logo est un escargot, s’est internationalisé depuis sa création, jusqu’à essaimer dans plus de 150 pays européens. Certaines villes se sont engagées sous la bannière du « slow ». Il s’agit des cittaslows présentes dans une grosse vingtaine de pays, allant de l’Australie à la Pologne, en passant par la Belgique, dont Chaudfontaine, Evere, Enghien, Silly (commune initiatrice et coordinatrice du réseau en Belgique), Lens et Estinnes qui sont notamment des représentantes. Les cittaslows prônent un nouvel urbanisme qui tente de privilégier la qualité de vie des habitants en tenant notamment compte d’une bonne gestion du bruit et de la vitesse.
br> Le concept du slow food s’est donc largement étendu à toute une série de domaines : on parle aussi de slow design, de slow management, de slow tourisme, de slow éducation, de slow cosmétique, de slow love, de slow média et de cittaslow. La philosophie Slow Food s’oriente vers la qualité alimentaire et se transpose sous forme de « Convivium » ASBL de bénévoles. La philosophie Cittaslow est un engagement politique de la ville à axer ses projets politiques vers la qualité de vie du citoyen. Elles sont évidemment tout à fait complémentaires mais structurellement et fonctionnellement différentes.

Réussir et exclure

L’agenda, étymologiquement, veut dire « ce qui doit être fait ». Mais chacun peut se poser la question : qu’est-ce qui doit être fait réellement ?
L’urgence est devenue une façon de vivre. Les critères économiques et marchands ont envahi nos vies personnelles. Ces critères sont le succès, la rapidité, l’efficacité. Bon nombre de personnes jugent donc leur propre vie, et celles des autres, à l’aide de ces critères.
On doit mener sa carrière avec succès, efficacité, rapidité. On nous fait croire qu’il est indispensable de jouir de tout et tout le temps. Et on assiste à une pathétique course haletante aux activités et aux plaisirs.
Et il en est de même actuellement pour la vie familiale, sexuelle, amicale. Il y a obligation de réussite. Tant et si bien que sont dévalorisés la maladie, la pauvreté, le corps et le cerveau qui s’usent, la solitude, la vieillesse. Tout ce qui est peu rentable, personnes y comprises, est moins respecté que ce qui est rentable. Nous vivons dans une logique aberrante d’exclusion implicite.

Le précieux temps

Ce précieux temps de notre vie, sachons que nous consentons à ce qu’il nous soit volé. Nous ouvrons largement la porte aux voleurs. C’est vrai qu’ils sont habiles, les voleurs du temps. Ils s’infiltrent partout. Ils envoient leurs messages, leurs images, leurs pubs. Ils sont puissants, les voleurs du temple. On a presqu’envie d’ajouter un i fatidique : les violeurs du temple ! Le temple, c’est tout ce qui nous est cher, intime, sacré. C’est de l’ordre du coeur. C’est aussi de l’ordre de notre « moi » le plus profond, le plus intègre. Il faut du temps pour nourrir cet espace-là. Le seul qui, finalement, compte réellement. Tout le reste : fumée sur la vitre et nuage de buée… !
A courir, on ne prend pas soin du territoire du « soi », mais on l’épuise ! Comme une terre qu’on cultive de façon intensive jusqu’à ce qu‘elle n’ait plus aucun nutriment. Or, seule la gratuité nous maintient dans notre humanité la plus haute. Le temps de la nonrentabilité est précieux entre tous. Ce sont les chers instants où nous nous arrêtons devant la beauté. Ce sont les moments de non-action. Les moments paisibles. Les moments de joie sans qu’il n’y ait de cause. De la joie ressentie gratuitement. Pour rien. Seulement parce que l’on vit et que l’on sent que l’on vit.



Lenteur et volatilité

La surinformation nous affaiblit. On surfe, on zappe. On avale l’information sans la digérer. Or, seule la lenteur permet la profondeur. Comme l’exprime l’écrivain Milan Kundera : sans lenteur, il n’y a pas de mémoire … et sans mémoire, pas de civilisation….
Les longues amitiés et les longues relations ont aussi besoin de mémoire. Elles sont lentes, elles aussi. Elles se cimentent avec le temps et l’engagement. De ce fait, elles ont un rôle psychologique stabilisant. Or, la rapidité du contact à distance prend peu à peu la place de la rencontre. Ce contact rapide, cette immédiateté donnent une sorte de légèreté et de volatilité à toute chose.

Le temps, otage de l’ordinateur

Il est évident que les réseaux sociaux et l’ordinateur représentent de formidables nouveaux moyens de se relier les uns aux autres. L’ordinateur nous donne la possibilité inouïe d’être mobilisé en temps réel ! C’est un outil qui nous met en relation avec des groupes entiers et établit des ponts qui, sans lui, n’existeraient pas. Mais ces nouveaux moyens demandent une éducation, un apprentissage, une réflexion éthique, une juste pratique. A mettre en oeuvre dès le plus jeune âge. Sinon, ils deviennent chronophages et risquent de faire sombrer pas mal de personnes dans la dépendance.
Le temps est l’otage de l’ordinateur et chacun risque d’en devenir prisonnier. Accordonsnous la liberté de faire des journées « out ». Des journées de totale déconnection. Sans ordinateur, sans mails, sans réseaux sociaux. Le temps est alors vécu tout à fait différemment.

Réactivité constante… et pause-cerveau !

Car nous prenons de plus en plus l’habitude d’être hyper-connectés. Or, cette connexion quasi continuelle a pour effet de mettre la plupart des gens dans une constante disponibilité et réactivité à ce qui se passe. On réagit tout le temps et très vite. Ceci sans qu’il n’y ait de frontières ni de limites entre la vie privée et la vie professionnelle. Résultat : l’urgence est partout. Et le cerveau trinque.
Or, le cerveau est une structure complexe qui a besoin de repos. Pour se reposer, le cerveau doit tout simplement ne rien faire. Mettre des plages de non-activité dans sa vie, c’est prendre soin de son cerveau, et de sa santé tout court. En effet, la compression du temps met à mal la santé.
La rapidité est la cause de burn-out, de crises cardiaques, d’AVC, de stress chroniques, de dépressions. Vivre davantage à son rythme garantit une bonne santé et débouche quasi systématiquement sur une sensation de bien-être.

La pause fait partie du travail

Le cerveau n’est pas capable d’exercer la même activité de façon continue, sous peine d’une immense fatigue nerveuse. Lorsque nous tentons de rendre notre temps conscient, sachons qu’il est indispensable de compter les temps de pause comme faisant partie intégrante du travail. Nous devons interrompre régulièrement notre travail pendant un laps de temps plus ou moins long afin de pouvoir le poursuivre. Ces pauses sont à comptabiliser dans l’organisation de notre temps. Car le temps s’organise.



Bien évaluer le temps


Comme le préconise A.L. Duthaubout, il est utile d’affecter à chaque tâche un budget temps et de s’y tenir. Et de se rendre compte, par exemple, que rien n’est aussi simple que ce que l’on imaginait au départ.
On pense que l’on va passer une simple demi-heure à laver sa terrasse, mais les pigeons sont passés par là et le nettoyage prend 1h30 ! On a tendance à ne pas affecter le temps nécessaire pour effectuer les tâches que nous accomplissons.
Les solutions : décider de ses priorités et tendre au réalisme. Ne pas se laisser influencer par les autres qui sous-évaluent quasi systématiquement le travail à accomplir… surtout quand il ne s’agit pas du leur! Et en cours de tâche, refaire le bilan et réévaluer le temps nécessaire.
Si possible, soyons attentifs à ne pas nous engager impulsivement. La nuit porte conseil. Agir trop rapidement est parfois nuisible. Plus on agit, plus on a l’impression de contrôler les évènements. Idéalement, le temps de la réflexion devrait toujours précéder le temps d’une prise de décision débouchant sur une action.

Pour prendre soin…

Il s’agit de reprendre le pouvoir sur son propre temps. Car il faut du temps, oui. Pour son conjoint, ses amis, ses enfants, ses vieux parents. Du temps pour prendre soin. Et il faut aussi du temps pour nourrir son espace intérieur. Non pas le remplir. Mais le nourrir. C’est une différence radicale.
Modifier son rapport au temps demande du temps justement. Mais ce processus débouche inévitablement sur davantage de contentement, de paix, de qualité, de santé, de simplicité et in fine de joie de vivre. Dès lors, donnons du temps à ce processus. Entrons tout doucement en résistance ….

Marie-Andrée Delhamende

LIVRES :
- Anne-Laure Duhautbout, « Se réconcilier avec le temps », ESF éditeur 2014.
- Christian Streiff, « J’étais un homme pressé », Le Cherche-Midi 2014



Paru dans l'Agenda Plus N° de
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