Le passage, le pas-sage ?
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Le passage, le pas-sage ?



La mort – ou le grand passage – est encore largement, pour notre culture, une source de grand mystère et d’angoisse, de vide, de malaise également. Souvenez-vous de la dernière cérémonie funéraire auquel vous avez participé ? Était-ce léger ? Comment vous sentiez-vous pendant et juste après ?



Notre monde « moderne » est troublant, car autant les réjouissances sont immenses et naturelles pour les naissances, c’est-àdire pour les arrivées ici-bas de tous les nouveaux « terriens », autant les départs via la mort sont rarement festifs, bien que parfois ils le soient dans certaines cultures de la planète. Pourtant, parmi elles, toutes ne vivent pas le passage de la mort avec autant de lourdeur que nous ne le vivons… Petit voyage anthropologique dans notre culture du passage…

Attachement et détachement matériel

Il n’est pas inutile de faire une analogie entre notre rapport au matériel et à l’émotionnel. Car notre race homos sapiens economicus a développé une faculté exceptionnelle d’accumulation de choses de toutes sortes, de souvenirs, de maisons, d’outils, de titres, de photos, d’argent, de dettes, de liens, etc. Lorsque vous emménagez dans une maison, voyez comme souvent l’on s’installe avec l’essentiel, et voyez ce qui s’accumule dans les armoires, dans la cave et au grenier au bout de quelques années seulement !

Connaissez-vous beaucoup d’adultes qui ont préparé à suffisance leur fin de vie en se libérant peu à peu de l’inutile, de l’excès ; qui ont consciemment organisé la donation des biens qui pourraient servir à autrui ? Rares sont ces êtres. Imaginez un peu que chaque objet relie l’âme d’un fil, comme le ballon à la nacelle d’une montgolfière. Pensez-vous que l’âme (le ballon de la montgolfière) saura s’élever légèrement avec un ou plusieurs containers d’objets en tous genres dans la nacelle ?

Inutile de vous rappeler que, selon certaines traditions, lorsque l’âme quitte le corps physique, elle voyage, comme nous l’enseigne les hiéroglyphes égyptiens, avec comme seul bagage un de ses corps subtils, un de ses corps de lumière qui n’est que légèreté.

Attachement et détachement émotionnel

Revenons à notre analogie. Si, dès à présent, nous pouvons acter une certaine difficulté de l’homos sapiens economicus au détachement avec le concret de la matière, qu’en est-il de sa capacité d’attachement et de détachement avec tout ce qui touche à l’émotionnel et au relationnel ? Car une vie est souvent bien remplie de toutes sortes de charges émotionnelles :

• Toutes les rancoeurs et blessures d’avoir été trahi, abandonné, rejeté, humilié, traité injustement de notre tendre enfance à nos derniers jours, il s’en est passé des expériences !
• Tous les non-dits, dans la famille, avec les voisins, au travail, avec le conjoint ou l’épouse, la maîtresse ou la fille cachée, les secrets de famille, les faces de nous dont nous ne sommes pas fiers. En voilà déjà des kilos !
• Toutes les culpabilités, d’avoir raté ou abandonné, d’avoir trahi ou de s’être menti, d’avoir oublié de prendre soin de nous ou d’avoir omis certains pans de l’essentiel… rajoutons-en quelques kilos !
• Les peurs de laisser des gens sans ressources, les peurs de ce qui va se passer de l’autre côté, les peurs de la solitude, les peurs de ne plus rien contrôler, la peur du vide, etc.

Faites le compte, avec cela, l’homos sapiens economicus semble traîner quasi un semi-remorque à l’issue d’une vie. C’est tout de même étonnant et fort encombrant, n’est-ce pas ? A contrario, l’amour vécu et partagé est infiniment plus léger et provoque une dilatation de l’âme (du ballon de la montgolfière).
Pourtant, à écouter les « Maîtres spirituels » et les personnes accompagnant les personnes en fin de vie, le « leitmotiv » est l’allègement. Et cet allègement, souvent, à défaut d’avoir été déjà opéré sur le plan matériel, doit aussi se faire sur le plan émotionnel et existentiel, et est donc plus long à réaliser.
Sans oublier le smartphone avec ses photos et ses « applis » qui restera bien ici-bas malgré l’existence de nos données dans le cloud (sic) – d’ailleurs lui sera plus vite recyclé que nous ! Smartphones qui, au passage, n’ont pas encore remplacé l’apprentissage de la méditation en réel et un authentique travail sur soi : deux démarches essentielles pour préparer justement ce passage tout au long de sa vie.

Différentes phases à traverser

La mort est parfois plus ou moins prévisible, notamment dans les cas de maladies chroniques et dégénérescentes, en nette recrudescence en ce siècle. Dans ce processus, la personne est amenée à traverser différentes phases pour avancer vers une acceptation de cet ultime lâcher-prise.
Tout d’abord, elle pressent que la fin de vie approche et l’âme avertit la personnalité. Que la personnalité l’accueille ou pas, ceci est effectué. Ensuite, la personnalité va souvent tenter de se rebeller. Ayant vécu sans conscience de sa fin, l’humain se rebelle car alors le décompte semble devenir réalité. Alors se vivent les frustrations de n’avoir pas pu accomplir et vivre certains projets et les regrets se font sentir. Après cette phase, la personnalité va tenter de négocier, avec le corps médical, avec Dieu ou avec son corps, un prolongement ou carrément une rémission. Mais si le corps est trop abimé et/ou que l’âme désire quitter, la personnalité devra passer par le stade de l’acceptation. Et dans cette période de lâcherprise peuvent alors s’installer la douceur et la paix qui peuvent rayonner car la lutte est finie.

Mourir comme l’on vit ?

La sagesse populaire nous a laissé que l’on meurt comme on vit… Mais que cela signifie- t-il exactement ? De nombreux courants spirituels nous enseignent que lorsque la vie est pleine de lumière, d’amour, de guérison, de partages et de détachements, que l’âme, en nous, a pu nous guider pour accomplir la contribution qu’elle est venue apporter, alors, le passage est légèreté et pourrait se faire d’ailleurs presque sur un claquement de doigt. L’âme, en quittant, pourrait traverser divers plans de conscience en une seconde alors que pour d’autres, le temps de détachement dure des semaines ou des années ici-bas et se poursuit encore un temps certain de l’autre côté du voile.

Toute cette sagesse est en tout cas une merveilleuse et précieuse invitation à chercher à préparer tout au long de la vie notre passage – tout en étant très vivant ici-bas - pour ne pas vivre dans le déni de la mort pendant 60, 70 ou 90 ans et s’en préoccuper 3 mois au moment où une maladie incurable se déclenche.



L’écoute, à tous les niveaux, de la pudeur à la profondeur

Pour accompagner le passage, il y a l’écoute, l’écoute, et l’écoute, emballée dans un dialogue juste et délicat. Car, tout d’abord, on ne s’adresse pas à une personne en fin de vie comme à une personne en pleine force de vie. Les circonstances sont différentes, les thématiques aussi. Il revient à l’intervenant (famille, amis, thérapeute, membre du personnel soignant) d’avoir cette subtilité dans l’écoute pour décoder le niveau de profondeur dans ce qui est exprimé. Les personnes en fin de vie ont des regrets à exprimer, des rêves non-accomplis, des actes manqués, des partages absolument touchants à livrer, des blessures vécues et des choses à mettre au clair. Parfois, c’est oser exprimer l’amour par le verbe ou la tendresse, parfois c’est oser pardonner quelque chose qui alourdissait un coeur d’humain.

Il se produit dans cette préparation au passage une densité de travail de détachement étonnante de la part de la personne car la personnalité, qui a fini de lutter, laisse alors place à la guidance de l’âme qui, elle, profite de ce lâcher-prise pour s’alléger et laisser circuler l’amour dans tous ces « containers » dont nous avons parlé ab initio.

Décoder à travers l’écoute

C’est pour ce faire que quiconque désire accompagner les personnes en fin de vie doit développer, de façon exceptionnelle et très fine, une qualité d’écoute et de décodage de ce qui est exprimé durant ces moments précieux.
Il se peut que la personne en fin de vie exprime derrière une question ou une interpellation très concrète (« Tiens, qu’est devenu tel papier dans mon bureau ? »), une forme de grande inquiétude pour une situation ou pour une personne. Or, toutes les angoisses, les peurs, les attachements vont alourdir la personne et freiner son processus de passage. Un écoutant avisé saura décoder si la question est juste concrète ou si elle cache par pudeur une dimension plus complexe.

Confusion et délire, à accueillir

Il en va de même pour tous les moments de confusion où même le délire peut être présent. Ces moments de délire, décodé avec conscience, permettent d’entendre des angoisses refoulées de la personne ou des évènements que la personnalité ne sait pas voir et qui reviennent par ces moments de délire.

Gérer la pudeur aussi Soyons encore réalistes. Il y a encore une grande pudeur autour de l’expression de l’essentiel. Des générations d’humains ont eu du mal à exprimer leurs sentiments et à exprimer l’essentiel. Parmi ces générations, un grand nombre a quitté sans mettre au clair ce qui pouvait l’être et a quitté sans même prendre conscience de leur propre départ, n’étant pas informé de leur état réel de pronostic vital de santé ou étant déclaré incapable par l’entourage d’assumer en conscience cette phase d’adieu.

Il y avait cette charge de pudeur qui empêchait de toucher l’essentiel, de mettre les mots, ou toutes formes de peur, d’aborder les choses importantes, dans une écoute très profonde. Et puis il y avait aussi ce climat de manque d’écoute et parfois d’acharnement thérapeutique de la médecine.
A l’échelle des deux derniers millénaires, la reconnaissance légale de la pratique de l’euthanasie est minuscule. La pratique n’a été légalisée en Belgique que depuis la loi du 28 mai 2002…



La dissolution des éléments

S’il est un livre qui mérite, parmi de nombreux ouvrages, d’être lu sur le passage (et avant de préparer son propre passage), c’est le « Livre tibétain de la vie et de la mort »* écrit par Sogyal Rinpoché. Un livre dont le qualificatif ‘magistral’ peine à rendre compte tant la densité et la justesse des enseignements est importante. Parmi mille enseignements, nous retiendrons singulièrement ici l’enseignement donné sur la dissolution des éléments. Nous en reprenons une petite partie.
Notre corps et notre essence est composée à notre arrivée sur Terre par les éléments, et lors de la préparation au passage, les éléments tendent à se retirer progressivement. L’élément terre est le premier à se dissoudre, laissant la personne sans force, parfois même dans la difficulté de se maintenir.
Ensuite c’est l’élément eau qui cherche à se dissoudre, amenant l’être à perdre la maitrise de ses fluides (incontinence, bavements, sensation de sécheresse, etc). Ensuite vient l’élément feu, qui lui, dans son départ, accentue la sécheresse et emporte progressivement la chaleur du corps et enlève aussi le feu de la digestion. L’élément air alors se retire aussi progressivement, la respiration est de plus en plus faible, le mouvement du corps est presque absent, la conscience se dissout également, le contact avec l’environnement aussi. Une fois le dernier souffle rendu, et la mort clinique apparente, se produit encore un ensemble de processus durant une vingtaine de minutes, il convient particulièrement de ne pas toucher ni déplacer le corps durant ce temps.

L’enseignement sur la dissolution des éléments doit inviter tout accompagnant à ne pas lutter contre un processus qui est par nature incontrôlable et pour lequel l’acceptation est la seule voie possible. Ici déjà, certains parfois forcent à manger ou à boire alors que ce n’est manifestement plus le temps. Il suffirait simplement d’humecter les lèvres et la bouche pour ramener un minimum de confort et accepter de laisser le processus agir.



Avoir conscience du transfert

C’est ainsi que nous arrivons tout naturellement à cet effet miroir qui se produit par l’accompagnement d’un « mourant ». Nécessairement, l’expérience étant à ce point existentielle et irrévocable, elle nous bouscule et nous fait miroir, à nous, enfant, parent, frère, thérapeute, infirmier, médecin, etc. En cas de négation ou de déni de l’existence du transfert, (processus où l’on va transférer vers l’autre une partie de son vécu, souvent inconsciemment et lui projeter nos émotions et nos schémas), le transfert va littéralement « distorsionner » la relation entre l’accompagnant et la personne en passage.
Il se peut que, par le biais du transfert, l’accompagnant freine ou méprise la demande d’euthanasie, ou retienne au maximum la personne ici-bas par le biais de soins supplémentaires alors qu’irrévocablement, elle cherche à s’élever vers la Lumière et à se détacher d’ici bas.

Le respect des désidératas de la personne

Puisque le passage de la mort s’accomplit – dans notre culture - désormais majoritairement dans les institutions hospitalières et les maisons de repos, il s’agira aussi que l’équipe respecte la demande de la personne. Parfois, une équipe entière exerce un transfert mal géré et freine par exemple les démarches pour l’euthanasie. Il y a alors un abus de pouvoir. Car un mourant est un « usager faible » face au pouvoir d’une institution. Rien de tel que d’avoir noué par avance une relation de confiance avec un médecin traitant qui, lui, pourra faire respecter les demandes auprès de l’équipe médicale.

Il y a un besoin profond du respect des désidératas de la personne en partance, car ce qu’elle a exprimé dans ses moments de lucidité n’a pas à être remis en question lorsque la faiblesse ou la confusion s’installe. C’est pourquoi le cadre de la loi sur l’euthanasie stipule la clairvoyance lors de la déclaration.

Les cérémonies d’au revoir et l’après

Que de belles déclarations et de reconnaissances lors des cérémonies alors que toutes ces choses ont été si difficiles à exprimer du vivant de la personne. Voilà un autre paradoxe de notre culture. Néanmoins, ces témoignages d’affection et d’adieu sont des démarches importantes pour que les connaissances du défunt puissent également accomplir leur deuil et parfois que l’âme du défunt reçoive toutes ces belles intentions et ces « au revoir ». Mais n’aurait-il pas été plus noble de les produire du vivant de la personne ?

Durant 3 à 6 mois, l’âme recevra avec beaucoup de reconnaissance les manifestations d’amour par différents rituels accomplis par les vivants. Après, l’âme sera moins « contactable » car elle sera sur des plans qui ne nous sont pas accessibles.

In fine

Le grand passage restera toujours rempli de mystères parce qu’une fois accompli, nous ne sommes plus de ce monde. Le passage est une expérience qui nous ramène à la séparation, exposant dix ou exposant Dieu. Comment appréhendons- nous cette blessure fondamentale de séparation, cette solitude existentielle et ontologique qui est présente en chacun d’entre nous ?
Chercher à la guérir pour retrouver l’unité durant notre vie est sans nul doute la meilleure façon de préparer son passage car dès lors que nous n’avons plus peur de la séparation avec le monde de la légèreté, des âmes et du Divin, se dissolvent en parallèle les peurs de la mort.
La mort est alors vécue comme une autre expérience, l’âme ayant accompli son mandat ici-bas reprend alors son expansion et s’envole vers d’autres cieux. D’ailleurs, les « Maîtres spirituels » nous enseignent que notre vie icibas qui ne dure en réalité qu’une respiration dans l’éternité, n’est que l’espace d’un songe dans une longue nuit. Le passage, vécu comme une étape, devient alors paix et le pendant de l’éternelle renaissance qui se manifeste dans les cycles de la Nature.

Raphaël Dugailliez

RÉFÉRENCE :
- Le livre tibétain de la vie et de la mort, de Sogyal Rinpoché
- Le langage des chakras, de Danielle Meunier
- Edition « Le courrier du livre »






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