Au delà des crises, une nouvelle conscience ?
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Au delà des crises, une nouvelle conscience ?



Et si la convergence des crises éthiques, écologiques, économiques, sociales et politiques était une occasion de revenir à l’essentiel, une invitation à retrouver un équilibre intérieur, apparemment perdu à l’échelle de la planète ?



Le dictionnaire précise que le mot « crise » vient du latin médiéval « crisis » qui signifie « manifestation grave d’un désordre, d’une maladie » (lui-même issu du grec « krisis » : « jugement »). La « crise » est un événement social ou personnel qui se caractérise par une rup-ture d’équilibre et par un profond trouble. C’est bien de cela dont il s’agit quand on regarde le monde des Hommes. Notre humanité est, en effet, plongée non pas dans une crise, mais dans de multiples crises éthiques, écologiques, écono-miques, sociales et politiques. Leur ori-gine semble être la généralisation d’un modèle de société dysfonctionnel dans lequel les êtres humains marchandent le monde dans une quête infinie de pouvoir et d’enrichissement personnel. Selon des auteurs comme Edgar Morin, Pierre Rabhi, Denys Rinpoché, Annie Pech ou encore Jean-Claude Lacaze, les multiples crises planétaires seraient les manifestations d’une crise intérieure liée à une décon-nexion spirituelle vécue par une grande partie de la population mondiale. Sur-monter les crises serait donc davantage un enjeu intérieur et spirituel que maté-riel, la manifestation « matérielle » étant la concrétisation de vécus individuels et collectifs.
Depuis des décennies, de nombreux phi-losophes et sociologues insistent sur le fait que notre civilisation a fait beaucoup évoluer la technologie, mais que par l’as-sistanat généralisé qu’elle implique, elle est loin d’avoir fait évoluer l’Homme lui-même, l’être humain ordinaire qui repré-sente la grande majorité de la popula-tion… Or, quand un système est en crise, ce sont avant tout ses composantes qui le sont. Les crises ne sont pas des enti-tés autonomes qui existeraient en dehors des êtres humains qui les ont créés. Elles sont immanquablement le reflet des indi-vidus qui en tissent la trame. Les crises représentent donc une rupture d’équilibre intérieur vécu par de nombreux citoyens et qui — automatiquement — se mani-festent sous la forme de déséquilibres extérieurs à différentes échelles.

Le constat apparemment « négatif »

Nous avons tous entendu la métaphore selon laquelle nous serions tous des pas-sagers du « vaisseau-Terre », partageant un destin et une responsabilité commune pour la sécurité du navire et ses occu-pants. L’ancien vice-président américain Al Gore insiste sur le fait que : « Nous vivons tous sur la même planète. Nous sommes tous confrontés aux mêmes dangers et opportunités, nous parta-geons la même responsabilité pour tra-cer notre route vers l’avenir. » En réalité, il serait plus juste de dire qu’une poignée de passagers du vaisseau-Terre voyage en première classe, dans des cabines climatisées avec toutes les options pos-sibles, y compris des places réservées dans les meilleures capsules de sauvetage… La grande majorité des autres passagers voyagent en seconde ou troi-sième classe, parfois dans les cales, sans aucune option, ni canot de sauvetage… Les humains ne sont pas logés à la même enseigne face aux défis contemporains et aux crises. Prenons l’exemple de la crise climatique. Les premiers mois de 2018 ont été les plus chauds jamais enregistrés. Selon les esti-mations des experts du climat, si le statu quo se poursuit, dans 50 ans, la tempéra-ture moyenne mondiale sera plus élevée qu’à tout autre moment depuis l’émer-gence de l’Homme, il y a 160.000 ans !Cela ne signifie pas seulement un temps plus agréable et chaud, comme fanfa-ronne Trump, mais des écarts de tempé-rature plus extrêmes, avec plus de tem-pêtes, d’inondations et de sécheresses. Certaines régions du monde seront lit-téralement inhabitables, sans parler des niveaux des mers qui commenceront à submerger les villes côtières…

Ces changements climatiques et ces phénomènes météorologiques extrêmes ne touchent pas une sélection aléatoire d’êtres humains de tous horizons. Les « premières classes » du vaisseau-Terre ne sont pas touchées. Il n’y a pas de mil-liardaires parmi les victimes climatiques, pas d’importants dirigeants d’entreprises vivant dans des abris de fortune, pas de courtiers en bourse qui voient leurs en-fants mourir de malnutrition. La plupart des victimes sont pauvres et désavanta-gées. À l’échelle mondiale, 99% des victimes de catastrophes météorologiques sont situés dans des pays en voie de développement et 75% d’entre elles sont des femmes.



Ainsi, le constat est clair : le capitalisme du XXIème siècle ne se caractérise pas seulement par l’inégalité des classes, mais par une accumulation inégalée de richesses entre les mains d’un très pe-tit nombre, associée à une pauvreté de masse imposée. De nombreuses études, articles et rapports documentent cette « richesse disproportionnée » au sommet de la pyramide du pouvoir. Ainsi, 1% de la population mondiale la plus riche pos-sèderait désormais autant que les 99% restants. Seulement 62 individus pos-sèderaient plus que les 3,5 milliards des individus les plus pauvres de la planète ! Branko Milankovic, ancien économiste en chef à la Banque mondiale et expert en matière d’inégalité économique, souligne que : « Nous connaissons maintenant le plus haut niveau d’inégalité mondiale relative et absolue comparé à n’importe quel moment de l’histoire de l'humanité ». Telle une fractale infernale Ce motif en « spirale négative » semble se répéter à chaque échelle du système. Globalement, le Sud souffre beaucoup plus que le Nord. Au Sud, les pays les plus pauvres, principalement en Afrique au sud du Sahara, sont les plus touchés. Dans chacun de ces pays, ce sont les personnes les plus vulnérables — les femmes, les enfants et les personnes âgées — qui sont les plus susceptibles de perdre leur foyer et leurs moyens de sub-sistance du fait des déséquilibres locaux et globaux. Le même schéma se produit également dans le Nord. En dépit de la richesse globale de ces pays, au moindre déséquilibre, les régions et quartiers les plus pauvres sont les plus touchés. La juxtaposition de ces dérèglements et crises incontrôlées plonge donc les plus démunis dans une spirale descendante, laissant des centaines de millions d’êtres humains confrontés à la malnutrition, à la pénurie d’eau, aux menaces écologiques et à la perte de moyens de subsistance. En 1980, l’historien anglais et activiste Edward Thompson avait osé proposer le concept de « société exterministe » pour souligner « les caractéristiques d’une société — exprimée, à des degrés divers, dans son économie, sa politique et son idéologie — qui poussent dans une direc-tion d’extermination de masse… » Nous voyons cette forme d’extermina-tion en action aujourd’hui (même si elle est en partie inconsciente), alors que des milliers de personnes du Moyen-Orient et d’Afrique se sont noyées dans des tenta-tives désespérées d'atteindre l'Europe et que celles qui atteignent l'autre rive sont repoussées ou emprisonnées, en violation du droit international. Et l’ONU parle de 250 millions de réfugiés climatiques d’ici à 2050… Parallèlement, on assiste à un effondre-ment écologique : on a perdu 50% des populations de vertébrés sur la planète depuis 40 ans, 80% des insectes volants en Europe ces 30 dernières années et 30% des oiseaux… Comme l’écrit Cyril Dion dans son judicieux « Petit manuel de résistance contemporaine » (voir « Réfé-rences ») : « Quel que soit le degré d’infor-mation que vous avez sur la question, vous n’êtes sûrement pas assez inquiets… ».



Le constat apparemment « positif »

Même si nous avons effectivement toutes les raisons de nous inquiéter, les profondes perturbations qui se mani-festent sur notre vaisseau-Terre ne sont heureusement plus dissimulées. Grâce à la diffusion immédiate de l’information, chacun peut désormais en prendre la mesure et agir en conséquence. La situa-tion est bien loin d’être seulement néga-tive. Comme l’écrit le chaman et éclaireur toltèque Paul Degryse : « La Terre nous donne une providentielle leçon d’humilité dont nous avions bien besoin et dont nous pouvons profiter, non seulement, bien sûr, pour rectifier nos erreurs, mais aussi et surtout pour reprendre en main notre propre évolution par un prodigieux saut de conscience en avant. »
Construire de nouveaux systèmes poli-tiques, économiques et culturels et des sociétés qui sont réparatrices, équitables, résilientes, justes, diversifiées et démo-cratiques, … est un défi qui peut rappro-cher les différents peuples du monde, construire un futur positif et réécrire l’Histoire pour le bénéfice de tous. Comme souligne l’activiste australien Del Weston : « Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas essayer… ni d’échouer ! » Alors, comment notre humanité peut-elle profiter des multiples crises planétaires pour faire un nouveau bon évolutif en avant ?
Pour que le système « évolue », ses com-posantes doivent évoluer. Les citoyens doivent évoluer. Autant intérieurement que dans leurs comportements, l’un étant le reflet de l’autre. Il n’y a que cela qui aura la force de vaincre l’apparente iner-tie du système. Les citoyens ne doivent presque rien attendre des dirigeants de ce système, la « mise en route » du chan-gement ne doit pas uniquement venir de l’extérieur. Les profonds changements comportementaux que nécessite l’aban-don du matérialisme ne vont pouvoir se mettre en place que par la volonté spon-tanée et intérieure de chaque individu. Mais combien de passagers du vaisseau-Terre sont-ils prêts à abandonner leur mode de vie consuméro-productiviste qui, souvent, ne les rend pas vraiment heureux ?
Même si l’on est tenté de répondre « trop peu », le nombre est néanmoins croissant et exponentiel ! Evidemment, la majo-rité ne peut pas encore intégrer de vivre autrement, le conditionnement matéria-liste, actif depuis plusieurs générations, est très puissant. Comme sous l’emprise d’un sort, de nombreux humains ont été nourris dès la naissance avec le dis-cours consumériste. D’ailleurs, à chaque fois que le « coup de frein » émane des politiques, d’énormes révoltes ont lieu — c’est dire... Il est donc indispensable de susciter les prises de conscience afin de faire découvrir un nouveau mode de vie à une population toujours plus vaste. Une nouvelle façon d’être-au-monde, qui s’adresse autant à l’intellect, qu’au cœur et qu’au corps, est en train d’apparaître afin que chaque citoyen devienne lui aussi un acteur du changement plané-taire. Lorsque ces différentes dimensions sont écoutées et nourries, les prises de conscience s’enclenchent automatique-ment. Progressivement, chacun réalise l’interconnexion des composantes du système, puis son appartenance à la Na-ture et l’interdépendance de l’ensemble du Vivant, enfin — et c’est sans doute le sens profond de toute spiritualité — se ré-vèle la nature même d’Unité de toute Vie. En ce sens, la crise globale peut devenir un prodigieux bond évolutif pour l’espèce humaine.



Une fractale vertueuse

Ainsi, grâce au concept de « résonance morphique » ou « champ morphogéné-tique », mis en lumière dans les années ’80 par Rupert Sheldrake (voir encadré « Le 100ème singe »), il n’est pas indispen-sable que des milliards d’êtres humains modifient vertueusement leurs compor-tements pour que la transformation pla-nétaire attendue s’actualise. Le principe même de « résonance morphique » re-pose sur le fait qu’une fraction seulement suffit pour faire basculer les plateaux de la balance.
Une perspective qui redonne espoir face à l’ampleur de la tâche ! Pas étonnant que les plus rationalistes gardent une vision pessimiste de l’avenir avec des discours comme : « l’humanité est comme un se-mi-remorque chargé à bloc propulsé à plein gaz dans une pente verglacée. On peut freiner et bloquer les roues, mais l’inertie est telle que le choc est inévi-table. La 6ème extinction de masse est en cours… ». Et bien pas nécessairement : ce serait plutôt une lame de fond trans-formatrice qui est en cours ! A l’image des forêts de bambous qui prennent des années de gestation souterraine avant de sortir de terre et de pousser à plus de 10 m de haut en une seule année (!), des dizaines de millions de citoyens de par le monde sont porteurs de nouvelles va-leurs qui se ramifient dans la terre ultra-fertile des multiples crises en cours. Ces « Créateurs de nouvelle Culture » se com-portent au quotidien en cohérence avec ces nouvelles valeurs. Ils sont touchés par les déséquilibres que nous avons collectivement créés et se mobilisent à leur mesure face à ces nombreux défis. Ils s’investissent souvent dans un ou plu-sieurs de ces domaines : solidarité active, simplicité volontaire, écologie, gestion pacifique des conflits, consommation responsable, développement personnel, santé naturelle, éducation alternative, spiritualité, valeurs féminines, … Vous reconnaissez-vous ?



Des études sociologiques montrent que ces femmes et ces hommes rassem-bleraient plus de 35% de la population occidentale, une information porteuse de grands espoirs pour notre avenir à tous.

A l’image d’une fractale positive, les actions quotidiennes de ces dizaines de millions de citoyens concourent silen-cieusement à l’émergence d’une société plus responsable, inclusive, durable et porteuse de sens. Alors qui sera symbo-liquement le « 100ème humain », celle ou celui qui — par résonance — fera basculer les consciences ?

Concrètement, que puis-je faire ? Suivre ses intuitions est la meilleure des boussoles ! Astuce : toujours commencer petit et local, mais en s’engageant vrai-ment. Voici quelques pistes : travailler intérieurement à la transformation des schémas, comportements et condition-nements limitants ; pratiquer la présence consciente, la méditation et tout ce qui peut aider à approfondir sa connexion spirituelle ; s’exercer à l’écoute bienveil-lante, à l’empathie et à l’altruisme ; oser le changement de regard, le partage et le don de soi ; commencer un potager, rejoindre un jardin-partagé et cueillir sa « pharmacie verte sauvage » ; devenir végétarien (ou tout au moins flexivégéta-rien !), apprendre à cuisiner économe, bio, local et de saison ; fabriquer ses produits d’entretien et ses cosmétiques naturels ; repenser son mode de transport et ses choix de consommation ; utiliser la télé à bon escient ou… la recycler ! Réaligner son travail à ses valeurs et oser en changer si nécessaire*; co-créer un projet dans sa rue, son quartier, sa communauté… Amorcer un vrai virage, déménager au vert, changer de vie ! Bref, ce ne sont pas les idées qui manquent ;-)



Défi des 21 jours

Des études en psychologie ont démontré que le cerveau a besoin de 21 jours pour qu’un comportement devienne un auto-matisme. Après 3 semaines, il y a plus de chances que la nouvelle façon d’agir soit intégrée dans le quotidien. A l’occasion de la 300ème édition, nous lançons le « défi des 21 jours » à chaque lectrice et lecteur qui lit ces lignes ! Attention, il est encore temps d’arrêter la lecture, car en la pour-suivant, vous vous engagez à modifier ou initier trois nouveaux comportements pendant 21 jours ! … Ok, vous avez choisi de continuer… ? Alors l’engagement est pris, vous commencez maintenant ! Laissez venir à vous trois comportements que vous aimeriez faire évoluer, transformer ou atteindre, trois petites choses faciles ou allant crescen-do en difficulté… A nouveau, fixez-vous des objectifs réalistes et… réalisez-les ! Toute la communauté des lectrices et des lecteurs, toute la rédaction, vous soutient dans votre démarche de transformation locale individuelle et donc… globale et collective ! Car il est inutile d’être un grand mystique ou un éminent physicien quan-tique pour reconnaître, au cœur de notre Être intime, que nous sommes tous Un. Chaque petit pas indi-viduel est infaillible-ment un grand pas pour l’humanité !

* point de vue « professionnel », Cyril Dion conseille de se poser les questions suivantes : « Qu’est-ce que je veux vraiment faire dans la vie ? Qu’est-ce que j’ai envie de construire comme monde ? Et dans quoi cela se traduirait dans mon métier ? Parce que si on se cantonne à faire de petits gestes, mais que toute la journée on fait un métier qui continue à entretenir le système… c’est comme si on disait : je travaille chez Monsanto, mais j’y vais en vélo ! ». Olivier Desurmont

RÉFÉRENCES :
•« Surmonter la crise écologique - Un enjeu spirituel » de J-C. Lacaze chez L’Harmattan
• « Crise écologique, crise des valeurs ? Défis pour l’anthropologie et la spiritualité », Collectif chez Labor et Fides
• « Guide de survie joyeuse » de G. Goulfier chez Ulmer
• articles : « La crise écologique planétaire » de P. Degryse
• « Petit manuel de résistance contemporaine » de C. Dion chez Actes Sud
• « Une humanité en crise » sur wikiversity.org
• creatifsculturels.be
• sechangersoi.be



Paru dans l'Agenda Plus N° de
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