Au coeur de la voix de la parole au chant de l’Etre
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Au coeur de la voix de la parole au chant de l’Etre



L’émission de fréquences sonores par la voix humaine peut aller du simple murmure fredonné à des structures chantées ou parlées très complexes, en passant par une infinité de mots, phrases ou simples mélodies. Ces diverses expressions sonores nous permettent de communiquer et d’induire de l’empathie chez autrui. Voyage au coeur de la voix.



Dès la naissance, notre souffle se relie spontanément à nos cordes vocales pour exprimer les sensations et ressentis bruts, vécus - sans filtre - d’instant en instant. C’est une réponse biologique complètement primaire, viscérale.
Déjà, avant notre naissance, blottis dans le cocon protecteur de la matrice maternelle, nous percevons des sons jusqu’au plus profond de nos cellules, sans différenciation entre un extérieur et un intérieur. Juste l’émergence spontanée de sons venus de nulle part au sein de la conscience. Notre petit-corps-diapason vibre alors au rythme de la respiration de maman, des battements de son coeur et des fréquences de sa voix. Régulièrement, la voix plus grave de papa et celles des autres membres de notre famille se mélangent au flux continu des sonorités organiques.
Après notre naissance, tout au début, nous ne faisons qu’exprimer vocalement nos désagréments et nos besoins immédiats. Ensuite, nous utilisons notre voix pour susciter de l’empathie chez maman, pour obtenir l’aide et le réconfort dont nous avons besoin. Cela se fait spontanément, sans stratégie ou vouloir de notre part. Petit à petit, nous apprenons à répondre à la fois au toucher et à la voix de maman et de papa. D’apprentissages en conditionnements, nous commençons à déduire les intentions et les sentiments de nos proches dans les intonations de leur voix, dans leurs propos enjoués à notre égard, dans leurs roucoulements apaisants et leurs rires approbateurs. Nous résonnons avec les sons de leur amour et aussi avec ceux de leurs inquiétudes… Et si nous avons été particulièrement chanceux, nous avons peut-être pu goûter aux délices sonores des chants apaisants de maman et/ou de papa. Au fil du temps, leurs voix parlées, chantées et la nôtre en écho n’ont fait que renforcer les liens entre nous. Liens physiques et biologiques, mais aussi affectifs et émotionnels. Plus tard, la maîtrise grandissante de notre expression vocale nous permet de communiquer avec nos proches, puis avec autrui, avec de plus en plus de précisions et de nuances. Notre voix parlée ou chantée devient ainsi un instrument de communication à part entière.

L’efficacité unique de l’appareil vocal

Chez l’être humain, la production vocale via la parole ou le chant nécessite l’intervention de plus de cent muscles. L’activité motrice vocale est régulièrement effectuée à un rythme plus rapide que tout autre fonction biologique humaine, avec des micromouvements allant de 50 à 1.500 fois par seconde ! Lorsque notre corps réagit à l’impulsion viscérale d'exprimer une sensation, nos muscles abdominaux et notre système respiratoire s'activent pour augmenter la pression respiratoire dans nos poumons, propulsant un flux d'air dans notre trachée. Nos cordes vocales se rapprochent pour répondre à ce flux ascendant et commencent à s'ouvrir et se fermer dans une oscillation aérodynamique. Cela transforme ce flux d’air trachéal en un ensemble de fréquences harmoniques qui forment la matière première acoustique à partir de laquelle notre voix est modulée. Avant d'être mis en résonance, le son émis par les harmoniques de nos cordes vocales n'est rien de plus qu'un bourdonnement aigu. Notre appareil vocal filtre ensuite ces harmoniques en les convertissant en un son formant notre timbre vocal unique. En tant qu’auditeurs, nos canaux auditifs sont réglés pour accentuer la résonance des harmoniques les plus élevées qui y sont introduites (fréquences comprises entre 2.300 et 3.500 Hz), ce qui rend notre audition très sensible aux sons contenant ces fréquences. C’est notamment ce qui nous permet d’identifier une voix particulière ou des sons parlés et chantés au travers de bruits de fond plus ou moins forts.
« Un piano est un piano et un violon est un violon, mais une voix est une personne », disait Peter Pears, le célèbre ténor britannique.

La voix et l’empathie

Unique comme une empreinte digitale, notre voix est un peu comme l’ambassadrice sonore de ce que nous sommes au monde. Et même si nous pouvons communiquer par divers types de mouvements et expressions non verbales, nous sommes avant tout conçus pour exprimer nos pensées, ressentis et sentiments par le canal de notre voix. C’est notre principal moyen de susciter l’attention, l’intérêt et l’empathie chez autrui ; d’abord chez nos parents et nos éventuels frères et soeurs, puis chez les personnes qui peuplent notre communauté.
Nous essayons de faire ressentir aux autres ce que nous ressentons et, à leur tour, ils essaient de nous faire ressentir ce qu’ils ressentent. Cette capacité à ressentir les émotions de l’autre, à se mettre à sa place, est la base même d’un environnement relationnel bienveillant et sécurisant.
Dans un article intitulé « Émotion et empathie : comment la voix peut sauver la culture », Lynn Helding, experte en « Mindfulness in singing » (Pleine-conscience dans l’acte de chanter), écrit : « La voix — à la fois chantée et parlée — a le pouvoir unique de provoquer des émotions. Pourquoi devrions-nous nous soucier de l’émotion ? Parce que l’émotion est la base de l’empathie et l’empathie est la pierre angulaire d’une société civilisée. »

Au coeur de ce qu’est l’humain

Tout au long de notre vie, nous prenons des décisions, souvent à notre insu, sur la base du son de la voix d’autrui : nos partenaires amoureux aussi bien que les candidats politiques sont, entre autres, sélectionnés en raison d’affinités vocales inconscientes. Les fréquences sonores émises, nos paroles, nos timbres de voix sont éloquents, souvent audelà du sens des mots prononcés. Mais la voix humaine n’est pas seulement un canal pour communiquer des informations ou des émotions, elle contribue également à créer du lien entre les individus et les groupes. En réalité, la voix est au coeur de ce qu’est l’humain. Elle est le pont entre notre monde intérieur et le monde extérieur, permettant l’expression de nos profondeurs les plus intimes jusqu’aux domaines publics les plus superficiels ; révélant non seulement ce que nous souhaitons être au monde, mais également ce que nous souhaitons ne pas être… La voix est un excellent baromètre sonore de la peur et du pouvoir, de l’anxiété et de la soumission, de la vitalité et de l’authenticité de chacun d’entre nous. Les anciens disaient que nous ne pouvions pas vraiment connaître un individu avant de l’avoir entendu parler. C’est sans doute vrai car, à un certain niveau, nous sommes conscients que la voix agit comme un baromètre psychique, sensible aux micro-changements de sentiments, enregistrant ce que les mots tentent de dissimuler. Étant donné que la communication consiste en grande partie en un échange de signaux vocaux, être en mesure de saisir le sens des modulations de la voix d’une autre personne et de répondre de manière appropriée est probablement notre tâche interactive la plus importante dans la sphère de la communication.

Cette interactivité représente un processus vivant et une opportunité pour développer la capacité de notre voix à exprimer, avec de plus en plus de justesse, nos pensées, nos ressentis, nos sentiments, nos certitudes, mais aussi nos doutes et nos craintes. Cependant, pour exprimer au mieux ce qui nous habite et ce que nous sommes, nous devons évidemment apprendre à connaître ce qui nous habite et ce que nous sommes. Les voies de la communication se révèlent alors être autant de voies de découverte et de transformation de soi.
Se perfectionner dans l’art de la parole ou du chant nécessite tôt ou tard un travail d’introspection et de découverte de soi. Le mouvement vers l’extérieur sera plus équilibré et efficace s’il prend assise dans notre intériorité. Apprendre à se connaître permet de trouver ce que nous souhaitons réellement communiquer à l’extérieur. Il serait en effet dommage de se perfectionner dans l’art de la parole ou du chant si nous n’avons rien à partager. Mais que souhaitons-nous au juste partager au monde ? Trouver la réponse à cette question est une étape cruciale pour retrouver notre voix unique et redonner du sens à notre présence sur Terre.

Comme un chant de l’âme…

Cette compréhension plus profonde nous fait renouer avec des définitions antiques de ce qu’est la voix humaine, comme celle du philosophe grec Aristote (384-322 av. J.- C.) qui disait : « La voix est un son causé par l’âme au moyen des répercussions de l’air, créé dans la gorge dans l’intention de signifier quelque chose ».
En nous reconnectant au sens des choses et au sens profond de ce que nous souhaitons exprimer, notre voix — ce « son causé par l’âme » — prend spontanément le relais avec son lot de caractéristiques uniques. Comme l’exprime l’acteur britannique Ian McKellen : « Si vous veillez au sens, les sons se prendront en charge d’eux-mêmes. »
D’autres, comme la célèbre chanteuse Aretha Franklin, expriment que seul le sens profond de ce que l’on chante a réellement le pouvoir de toucher l’âme de l’auditeur, peu importe la maîtrise de l’interprète. Le chant est ici vécu comme un amplificateur d’émotions. Le chant est, en effet, une forme très particulière d’expression de la voix humaine, une expression souvent plus accentuée et plus puissante. L’être humain chante pour se divertir, exprimer des émotions, célébrer un événement, se relier aux mondes invisibles ou encore prier. Le chant communique un état affectif précis ou un sentiment de reliance, de connexion, avec soi-même, avec les autres ou avec un principe supérieur. Les chansons évoquent généralement l’établissement de cette connexion (chants d’amour), de la perte de cette connexion (chants de séparation, de désespoir, de mélancolie), la connexion avec les mondes invisibles et les hiérarchies spirituelles (formules chamaniques incantatoires, mantras, chants sacrés, prières chantées).
Théodore Reik, un des plus anciens élèves de Freud, croyait que la structure musicale était particulièrement apte à représenter certains sentiments humains. Il suggéra l’idée que le matériel inconscient émergeait parfois en tant que mélodie, plutôt qu’en tant que mots, car la forme chantée pouvait mieux exprimer certaines émotions et états d’âme inconnus. Aujourd’hui, de nombreuses études relevant du champ des sciences cognitives, menées en particulier aux États-Unis, se penchent sur l’impact des sons de la voix humaine sur les émotions. Elles confirment que les modulations de la voix peuvent modifier un état d’âme existant et que la musique vocale a un pouvoir évocateur beaucoup plus important que la musique instrumentale.

La voix, outil de guérison

« La voix est le muscle de l’âme », disait Alfred Wolfsohn. Cette phrase métaphorique résumait la conviction de ce juif allemand qui, jeune homme, vécut une expérience traumatique en tant que brancardier dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Plusieurs années après la guerre, il souffrait de souvenirs perturbants et d'hallucinations de soldats en pleurs et en hurlements. Un cri en particulier — l’appel à l’aide d’un soldat blessé, auquel Wolfsohn, par crainte pour sa propre vie, ne pouvait pas répondre — le hanta longtemps après les événements. Ces sons le traumatisaient tellement qu’il avait l’impression d’avoir perdu son âme et, avec elle, sa voix. Les traitements standards étaient inefficaces. Après des années de recherches, sa guérison ne commença véritablement que lorsqu’il put exprimer ces sons mémorisés de la guerre par le biais de sons improvisés. Des sons curatifs spontanés pour guérir des sons traumatiques mémorisés…

Cette histoire illustre à merveille le pouvoir guérisseur de la voix. Stephen Smith, auteur et pédagogue de la voix, explique que les micro-tensions qui interfèrent et parasitent notre voix ou notre chant proviennent de nombreuses sources, telles que les inhibitions causées par un enseignement ou une éducation trop sévère, les blessures psychologiques, la répression de sentiments négatifs, le doute et le manque de confiance en soi. Diane Austin, auteure et psychothérapeute vocale, souligne quant à elle que : « Les enfants qui ont été élevés dans une atmosphère de peur, d’hostilité, de violence ou de négligence sont souvent réduits au silence… Parfois, le silence est sélectif, certaines choses peuvent être racontées, certains sentiments peuvent s’exprimer et d’autres pas. Parfois, le silence est assourdissant. Les besoins restent insatisfaits et la voix devient inaudible. Il n’est pas rare qu’un enfant blessé survive en y laissant sa propre voix... »

Les enfants meurtris ne sont pas les seuls à avoir fait taire leur voix. Tout abus de pouvoir qui attise la peur peut provoquer chez la « victime » une limitation de l’expression et affecter la voix et le chant. Puisque la voix exprime essentiellement notre volonté d’établir une connexion, d’entrer en relation, la suppression de la voix coupe cet élan vital et peut engendrer des sentiments d’isolement, de tristesse et d’amertume.
Ces exemples montrent l’interdépendance de la voix et de l’équilibre psychologique de chaque individu. Raison pour laquelle de nombreux thérapeutes utilisent et améliorent d’antiques procédés vocaux ou innovent en créant de nouvelles thérapies vocales qui aident de nombreux individus de par le monde.
Retrouver sa voix, sa parole ou son chant authentique, c’est se retrouver soi. C’est, en quelque sorte, célébrer les retrouvailles avec une expression consciente, libre, ouverte et vulnérable de notre participation au processus de la vie.



Le chant comme pratique spirituelle

Cette participation au « processus de la vie » est ressentie par la majorité des humains depuis la nuit des temps. Quelle que soit la tradition, l’expression la plus adaptée pour célébrer la dimension sacrée de toute vie a toujours été le chant. C’est pourquoi il est souvent considéré comme une pratique spirituelle ou religieuse à part entière. Tout comme la prière, le chant est généralement un élément de l’expression spirituelle personnelle ou de groupe. Diverses traditions spirituelles considèrent même le chant comme une voie centrale d’élévation spirituelle, de guérison ou encore de mode de communication direct avec le monde divin ou celui des esprits.

Partout sur la planète, les chants sacrés résonnent ainsi depuis des millénaires : chants dans les cultures autochtones afro-américaines, hawaïennes et amérindiennes, assyriennes et australiennes, chants védiques, lectures psalmodiées du Coran, dhikrs islamiques, chants bahá’ís, chants bouddhistes, chants de mantras, cantillations hébraïques, chants des psaumes et des prières, en particulier dans les églises catholiques (chants grégoriens), les églises orthodoxes orientales (chants byzantins ou chants Znamenny), les églises luthériennes (chants anglicans), etc… Ces expressions chantées varient considérablement d’une culture à l’autre. Le chant bouddhiste tibétain, par exemple, comprend des chants de gorge uniques et puissants où chaque moine produit plusieurs hauteurs de notes simultanées, les harmoniques et sub-harmoniques. Le chant sous forme de mantras revêt également une importance particulière dans de nombreuses cultures, notamment dans les traditions hindoues et autres religions dharmiques, tout comme les chants dévotionnels « bhakti » en Inde qui sont centrés sur la pratique des kirtans (sikhisme) et des bhajans (hindouisme). D’autres cultures spirituelles mettent davantage l’accent sur le chant des noms de Dieu, comme le mouvement Hare Krishna où la répétition des noms sanscrits de Dieu est centrale (tradition de Vaishnava). Le shijin japonais ou « poésie chantée » reflète quant à lui les principes du bouddhisme zen et est chanté à partir du « Dan tian » (centre du basventre), le lieu de la force et de la puissance dans les traditions orientales.

Notre voix est un atout sacré. Accordons-lui l’importance qu’elle mérite. Conscientisons la manière dont nous communiquons avec les autres, la manière dont nous influençons notre entourage et notre communauté. Trouvons notre voix et exprimons-la. Développons-la. Chérissons-la. Écoutons avec empathie et respect la voix des autres. Encourageons à parler ceux qui ont été réduits au silence. Donnons à notre Être intérieur un accès de plus en plus libre à notre instrument vocal pour qu’il puisse exprimer dans le monde son unique « couleur sonore » et participer, en conscience, à la symphonie planétaire.

Olivier Desurmont

RÉFÉRENCES :
• « Vox confidential une enquête inédite sur les mystères de la voix humaine » de Christophe Haag aux Ed. Michel Lafon
• « La voix humaine » de Ingo Titze aux Ed. de Boeck / Solal
• « Physiologie et art du chant - A l'écoute de son corps pour optimiser sa technique vocale » de Marie Hutois aux Ed. Alexitère
• « De la parole au chant, qu'est-ce que la voix ? » de Gérald Fain aux Ed. Le Pommier.



Paru dans l'Agenda Plus N° 304 de Février 2019
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