Créatifs Culturels, les pionniers-bâtisseurs du monde de demain
Avec les «Créatifs Culturels», une nouvelle force citoyenne
est en marche. Elle constitue un puissant levier de changement.
Il ne s’agit plus d’être de gauche ou de droite, bleu,
vert ou arc-en-ciel, mais de montrer qu’une autre voie est
possible : la voie... de l’avant ! Coup d’oeil sur l’émergence
d’une véritable vague de fond.

Localisation : périphérie de la Voie lactée, système Solaire, troisième planète en orbite autour de l’étoile centrale ;
Dénomination : la planète est appelée «Terre» par une partie de sa population [aucune dénomination commune partagée par l’ensemble des habitants] ;
Temps : «début du IIIème millénaire» semble être le repère temporel fixé par une majorité de la population [bien que la planète ait 4,54 milliards d’années] ;
Constat : planète de contraste, partiellement dégradée, où la compétitivité, la séparation et l’opposition [forts-faibles, riches-pauvres, hommes- femmes, etc…] dominent encore les comportements individuels et collectifs ;
Réflexion : l’inconscience d’une grande partie de la population fait que les ressources naturelles ne sont pas respectées, protégées et équitablement partagées pour le plus grand bien de chaque individu…
Telle pourrait être la vision d’un visiteur extra-solaire face à notre monde à l’aube du 21ème siècle. Nous vivons, en effet, dans une société qui n’a jamais été aussi abondante… du moins matériellement. Le monde produit, produit, produit, frénétiquement, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Si cette abondance était répartie de manière égale au niveau mondial, une famille moyenne [2 adultes et 3 enfants] pourrait disposer d’un revenu de 2.185 euros par mois. Cette allocation permettrait de fournir à chaque famille des installations sanitaires, l’électricité, l’eau potable et un logement confortable. La planète Terre fournit, en effet, suffisamment de ressources afin que chacun puisse mener une vie simple et équilibrée.
Pourtant, en 2013, un être humain sur trois ne dispose pas de sanitaires les plus élémentaires, un sur quatre n’a pas accès à l’électricité, un sur sept vit dans un bidonville, un sur huit éprouve la faim et un sur neuf n’a pas accès à l’eau potable1… Comment en sommes-nous arrivés là sur la belle bleue ? Pourquoi l’espèce humaine a-t-elle généré de tels déséquilibres ? Les diverses crises qui s’interpénètrent mettent en lumière les incohérences du système sur les plans sociaux, environnementaux, économiques, éducatifs,… et soulignent, encore et encore, la perte de sens. Existe-il des moyens pour changer de paradigme ? Et si oui, comment effectuer ces indispensables changements ? Quels sont les facteurs de transformation sociétale ? Et qui en sont les acteurs ?
Emergence d’une nouvelle humanité
Pour la plupart des citoyens, le changement passe soit par la voie politique, soit par l’action des ONG impliquées sur différents terrains sociaux ou écologiques. Certains citeront aussi les syndicalistes, les féministes, les altermondialistes, les indignés, voire les «anonymous» ! Pourquoi ces références reviennent-elles si souvent ? Parce qu’elles sont les seules véhiculées par les médias. Et les médias ne relèvent, évidemment, que l’activisme visible et médiatique… Selon cette perception, le nombre des acteurs du changement culmine à 2 ou 3% de la population. Pas étonnant que les transformations attendues prennent autant de temps !
Cependant, plusieurs études menées aux Etats- Unis et en Europe suggèrent l’émergence d’une véritable vague de fond formée par un groupe socio-culturel qui détient les clefs du potentiel transformateur attendu : les «Créatifs Culturels» [C.C.].
Cette étrange expression, inventée par le sociologue américain Paul Ray et la psychologue américaine Sherry Anderson a fait l’objet d’un livre publié en 2000, sous le titre «The Cultural Creatives : How 50 Million People Are Changing the World», puis en français, un an après aux éditions Yves Michel, sous le titre : «L’émergence des créatifs culturels - Enquête sur les acteurs d’un changement de société».

Ce concept, traduit par l’expression «Créatifs Culturels», pourrait également être traduit par les termes de «créateurs ou innovateurs de culture» puisque ces nouveaux acteurs ne seraient ni plus ni moins en train d’inventer une nouvelle culture pour le XXIième siècle. Une forme de culture que l’on peut qualifier de «post-moderne » et qui intègre simultanément quatre pôles de valeurs-clefs :
• l’ouverture aux valeurs féminines : place des femmes dans la sphère publique, parité, question de la violence faite aux femmes... ;
• l’intégration des valeurs écologiques et du développement durable, avec un intérêt pour l’alimentation biologique et les méthodes «naturelles » de santé ;
• l’implication sociétale : actions individuelles et solidaires au niveau local et/ou global ;
• le développement personnel, avec une dimension spirituelle et un intérêt pour les nouvelles formes de spiritualité.
Une masse critique
D’après l’enquête de Ray & Anderson2 [menée pendant 12 ans auprès d’un échantillon représentatif de 100.000 personnes aux Etats-Unis !], pas moins de 26% des adultes - soit 50 millions d’Américains - ont profondément modifié leur vision du monde, leurs valeurs et leur mode de vie. Leur nombre est en croissance régulière et rapide : en l’espace d’une génération, ils seraient ainsi passés de 5% au début des années ‘60 à plus de 35% aujourd’hui [chiffres des dernières études].
«Nous décidons de les appeler les Créatifs Culturels car, d’innovation en innovation, ils sont en train de créer une nouvelle culture pour le 21ème siècle», dixit Ray & Anderson. Des valeurs qui ne sont ni significativement liées à l’âge, à la génération, aux revenus ou encore au niveau d’études. Seule exception démographique notable : 60% sont des femmes !

En outre, l’étude de Ray & Anderson a pu mettre en lumière que les «Créatifs Culturels» se divisaient en deux sous-populations :
• un noyau central, dit «avancé». Ce sont les «Créatifs Culturels spiritualistes». Ces leaders de la nouvelle culture se préoccupent à la fois de l’aspect environnemental, de l’aspect sociétal [justice sociale] ainsi que du développement «psycho-spirituel» de l’individu.
• une périphérie, composée de «Créatifs Culturels écologistes», qui n’incluent pas vraiment la dimension spirituelle dans leur univers. Pour eux, le lien entre développement personnel et l’engagement social ou l’écologie n’irait pas de soi et ne se ferait que prudemment.
Un peu plus tard en France, en 2007, une étude rassemble différents sous-groupes et porte à 38% le courant des individus se plaçant dans une alternative créative [17% de C.C. et 21% d’alter-créatifs] 3 ! D’autres enquêtes menées en Allemagne, Pays-Bas, Hongrie, et Italie arrivent approximativement au même pourcentage de C.C. Ce qui porterait le nombre d’acteurs du changement en Europe à un chiffre oscillant entre 80 et 90 millions. Dans tous les pays d’Asie, dont le Japon, la Chine, l’Inde et l’Asie du Sud-Est, on estime le nombre de C.C. à plus de 60 millions ; en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud, plus de 10 millions. Associés aux quelques 63 millions de C.C. actuellement estimés aux Etats-Unis, le nombre actuel de «Créatifs Culturels» oscillerait entre 200 et 250 millions dans le monde ! On estime que la population des C.C. a lentement progressé de 0,5% par an au cours des 40 dernières années. La croissance est désormais exponentielle : les individus sont de plus en plus éduqués, la connectivité du monde moderne permet un partage de l’information quasi instantanément et la théorie des «champs morphogénétiques» [ou «champs morphiques»], médiatisée par le Dr Rupert Sheldrake, enseigne que les comportements et les valeurs des êtres vivants s’inscrivent dans des champs qui, à leur tour, influencent l’espèce entière par «résonance morphique» et amplifie ainsi tout phénomène évolutif.
Alors que certains auteurs n’hésitent pas à souligner que les conséquences de ce phénomène social multi-facettes sont aussi profondes que les conséquences du réchauffement climatique sont imminentes, d’autres, comme le sociologue Paul Ray, précisent que nous assistons littéralement à la naissance d’une lame de fond dont les valeurs baliseront les prochaines phases de notre développement vers une «nouvelle humanité» puisque la masse critique est atteinte ou, du moins, est sur le point de l’être !

Un phénomène triplement significatif
Ce qui rend ce phénomène aussi intéressant et triplement significatif, c’est, primo, sa rareté en termes historiques, puisque c’est la première fois depuis plus de 600 ans – depuis la Renaissance – qu’un nouveau système de valeurs émerge simultanément au niveau mondial. Secundo, c’est également la première fois que l’on observe à grande échelle des individus impliqués à la fois dans une recherche d’équilibre intérieur et soucieux de participer à un équilibre extérieur par des implications sociales, écologiques, etc… Tertio, les dernières recherches sur le sujet mettent en évidence que ce courant touche non seulement toutes les tranches d’âge, mais que le «fossé des générations», bien connu des sociologues, tend à disparaître au niveau du partage des valeurs : les enfants, ados et jeunes adultes des baby-boomers C.C. sont en accord avec leur parents sur de nombreuses valeurs-clefs fondamentales. Cela signifie que la vision nouvelle partagée par les «Créatifs Culturels» serait transgénérationnelle, puisqu’adoptée par la majorité des enfants nés dans ces familles.
Le paradoxe
Si le phénomène est exponentiel et que la masse critique est atteinte ou presque, le changement de paradigme serait donc à nos portes ? Pas exactement… Explications : même s’ils représentent 200 à 250 millions d’individus sur la planète, la grande «faiblesse» de ce groupe socio-culturel émergeant est que, d’une part, chacun de ses membres a souvent l’illusion d’être individuellement seul et, d’autre part, quand ce n’est pas le cas, les différents «cercles» auxquels appartiennent de nombreux C.C. ne se reconnaissent pas nécessairement entre eux [activistes Nord-Sud, pratiquants de méditation, éco-militants, membres d’associations solidaires ou de groupements d’achats bio, chercheurs spirituels, etc…].

Ils se croient seuls car leur identité n’apparaît pratiquement pas dans la presse et leurs actions sont rarement relayées par les médias. Le principal objectif des médias officiels étant de servir la culture dominante au sens large, tout ce qui ne cadre pas avec le «système» n’est pas relayé, voire dénigré…
«Quand les implications politiques d’un groupe important ne sont pas claires, ce n’est jamais bon pour les affaires, ni pour le business publicitaire…» précise Paul Ray.
Le paradoxe vient du fait que les «Créatifs Culturels » sont au centre d’une quantité incroyable d’innovations sociales, économiques et culturelles depuis des années, mais que la plupart des gens n’en ont jamais entendu parler !
Ce «black-out» médiatique ralentit certainement le processus d’émergence des C.C. et, subséquemment, de toute une série d’améliorations sociales, culturelles et environnementales qui nécessiteraient le support d’une large couverture médiatique. Imaginez la focalisation de 250 millions d’individus travaillant de concert pour améliorer le monde dans lequel nous vivons…
Par ailleurs, un autre facteur non négligeable qui freine l’émergence des C.C. est que nombre d’entre eux sont, comme Ghislaine Lanctôt4 se plaisait à les appeler, des «moutons noirs». Qu’ils soient révoltés contre le système, aient de fortes personnalités ou, plus simplement, qu’ils soient intègres par rapport à leurs valeurs de vie, de nombreux C.C. n’aiment pas qu’on leur colle des étiquettes [«Créatifs Culturels» en est une…], qu’on les étudie, recherche leurs points communs, les associe entre eux et limite leur quête de liberté… Pourtant, à côté du mouton blanc docile et obéissant, prototype même du mouton de Panurge, les moutons noirs ont leur rôle à jouer dans le théâtre de la vie. Comment, en effet, faire évoluer un système sclérosé si des voix ne s’élèvent pas pour souligner les incohérences du système ou, mieux, pour arpenter les chemins d’une voie nouvelle. Chaque C.C. ne fera donc pas l’économie du lâcherprise de ses oeillères intérieures afin qu’il puisse s’ouvrir aux autres C.C., reconnaître les richesses de quantité d’autres actions connexes à la sienne et initier un processus d’unification de toutes ces forces individuelles.
Afin de culminer dans leur art, ces «néo-guerriers » sont donc amenés à enterrer la hache de guerre, avec simplicité et recueillement. Ainsi en est-il de l’ego et de ses masques, mouton noir ou Zorro masqué : chacun est tôt ou tard invité à lâcher-prise de l’opposition et parfois de la révolte qui, dans ses formes les plus subtiles, peuvent encore être présentes dans le simple fait de vouloir – encore – marquer sa différence ou imposer son point de vue. L’abandon de l’attachement à une forme d’expression spécifique et de la comparaison et du jugement qui en découlent souvent - «ma façon de faire est mieux que la tienne…», « ma vision des choses est supérieure à telle autre…» - est sans doute une des clefs de la quête intérieure que tout C.C. est amené à réaliser et à vivre afin que le mouvement d’émergence augmente son potentiel d’unité. Car c’est cette force d’unité, dont parlent toutes les sagesses et spiritualités du monde, et non une simple somme d’individus, qui peut véritablement oeuvrer à la transformation de nos mondes intérieurs et de nos sociétés, l’un étant toujours le reflet de l’autre.

Anti-pensée unique
Loin des affres du Nouvel Ordre Mondial qui pointe son nez bien au-delà de nos têtes citoyennes, les C.C. sont finalement les véritables hérauts d’une «anti-pensée unique» qui ne manque d’ailleurs pas d’être portée de manière massive par les réseaux sociaux et Internet... Cette nouvelle conscience mondiale serait selon Ray & Anderson2 «la manifestation d’une lente convergence de mouvements et de courants jusqu’alors distincts vers une profonde modification de notre société». En ce sens, nous assistons ici et maintenant à l’éveil d’une nouvelle civilisation post-moderne, aussi importante que celle qui, il y a 500 ans, marqua la fin du Moyen-Age. Pas moins…
Olivier Desurmont



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