Low-tech’… le futur du ‘high-tech’ ?
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Low-tech’… le futur du ‘high-tech’ ?



En transition vers la sobriété technologique !
La fuite en avant des innovations ‘high-tech’, fortement consommatrices de ressources et d’énergies, conduit nos sociétés dans l’impasse. Comment prendre le contre-pied de cette course folle et amorcer la transition ? En se tournant vers les ‘low-tech’, les « technologies douces » !



Au fil de l’Histoire
Dès le début de son histoire, l’Humanité a uti-lisé des techniques ‘low-tech’. En effet, nos ancêtres utilisaient des matériaux locaux qui étaient naturellement biodégradables pour créer des outils et d’ingénieux systèmes non polluants. Toute la période pré-industrielle est par définition ‘low-tech’ et c’est la meil-leure illustration que l’on puisse associer à ce concept, bien que celui-ci ne représente pas une régression.
Au moment de la Révolution industrielle, émerge simultanément la critique de la « technique ». Le « Discours sur les Sciences et les Arts » de Jean-Jaques Rousseau, en 1750, en est une illustration (sous la forme d’une hostilité au ‘machinisme’). Benjamin Constant et Stendhal ont, quant à eux, dénoncé l’indus-trialisme comme « menaçant pour la liberté ».
Mais le concept de ‘low-tech’, à propre-ment parlé, remonte aux années 1970, où il apparaît sous la plume de Ernst Friedrich Schumacher, pionnier de l’introduction des idées écologistes en matière d’économie et de politique de développement. Dans son célèbre « Small is beautiful » (1973), Schu-macher utilise le concept de « technologie intermédiaire », qui correspond précisément à la définition actuelle du ‘low-tech’. Il s’agit alors d’envisager l’activité humaine sous un angle novateur : prise en compte de la na-ture en tant que capital à préserver et non plus en tant que simple source de revenus ; souci d’une économie pérenne, fondée sur une exploitation raisonnée de ressources natu-relles limitées ; intégration du bien-être des travailleurs et de la préservation de l’environ-nement dans les décisions économiques. Autant de critères qui sont aujourd’hui indis-sociables des principes mis en œuvre en ma-tière de développement durable.
D’autres auteurs, comme Lewis Mumford dans son ouvrage « Le mythe de la machine » développe la notion de « biotechnique » pour désigner des techniques « bioviables » qui fonctionneraient d’une manière que nous qualifierions d’écologiquement responsable, c’est-à-dire qui permettent d’établir une relation homéostasique entre ressources et besoins.

Le ‘low-tech’ aujourd’hui

Dans le contexte économique et environne-mental actuel, les ‘low-tech’ connaissent un regain d’intérêt et se retrouvent quasiment dans tous les secteurs : agriculture, médecine, production d’énergie, architecture, Internet... De nombreux auteurs y voient une solution de transition permettant une décélération du ‘high-tech’ au fur et à mesure de l’épuisement des ressources naturelles.
Aujourd’hui, l’engouement et le développe-ment créatif des ‘low-tech’ prend en compte les dimensions philosophique, environnemen-tale et sociale. Les ‘low-tech’ ne sont plus des techniques archaïques remises au goût du jour mais, au contraire, de nouvelles tech-niques créatives, ingénieuses et orientées vers un avenir soutenable. De plus, elles recréent des liens sociaux et remettent en question la société de consommation, ainsi que la pensée matérialiste qu’elle sous-tend.

Low-tech Lab
Partout dans le monde, des innovations techniques simples, accessibles et du-rables sont développées à échelle locale pour répondre à des problématiques vi-tales, économiques ou environnementales. Potentiellement utiles à des millions de personnes, elles méritent d’être partagées. Depuis 2015, le « Low-tech Lab » se donne pour mission de les repérer, de les expéri-menter et de les documenter de façon col-laborative afin de les rendre accessibles à tous. L’ensemble de ces documentations sont partagées librement et gratuitement.
Infos sur lowtechlab.org


Le mythe de la technologie

« Nous vivons dans une société qui croit au techno-solutionnisme », déclare Philippe Bi-houix dans son ouvrage « L’Âge des low tech - Vers une civilisation techniquement soute-nable1 ». Cet ingénieur français met en lumière le mythe selon lequel nombre de citoyens croient encore en un avenir où les innovations de ‘haute technologie’ ou ‘high-tech’ créeront un monde où tout sera forcément plus éco-nome en énergie. Les technologies de pointe révolutionneront nos sociétés et sauveront la planète et son climat — ouf ! Cette confiance aveugle dans le progrès technologique est une force motrice qui existe depuis la révo-lution industrielle. Or, la prise de conscience grandissante de la limite des ressources na-turelles disponibles, donc de l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde fini, conduira immanquablement l’humanité vers un effondrement du système (scénario du « collapse ») ou un changement de paradigme.
La question centrale pourrait se résumer comme suit : pouvons-nous réellement ré-soudre les problèmes causés par la crois-sance tous azimuts du progrès technologique avec des solutions technologiques, c’est-à-dire avec les processus mêmes qui ont engen-dré lesdits problèmes ? Pour Albert Einstein, la réponse est claire : « On ne peut résoudre un problème avec le même niveau de conscience que celui qui l’a créé. » Le progrès technologique doit donc, lui aussi, évoluer et amorcer sa transition vers la sobriété et une vraie durabilité.

La pénurie des ressources est réelle

L’impact négatif des ‘high-tech’ sur l’environ-nement est presque invisible dans les pays occidentaux. Par exemple, les utilisateurs d’Internet ne voient pas les centres de don-nées gargantuesques et hyper-énergivores qui leur permettent d’accéder à leurs sites favo-ris. De plus, la plupart des externalités décou-lant du système consumériste se produisent dans d’autres pays : extraction d’éléments de terres rares en Chine ou d’argent en Amérique du Sud, productions textiles à l’autre bout du monde à des coûts avoisinant le centième du prix de vente dans les « pays riches ». L’illusion d’une augmentation sans cesse croissante de la production est désormais confrontée à la réalité de la rareté des ressources. Les gise-ments de cuivre les plus facilement acces-sibles et les plus rentables ont tous déjà été exploités, ce qui oblige les industriels à creu-ser plus profondément et à utiliser davantage de moyens et d’énergie. Ainsi, 10% de l’énergie primaire mondiale (énergie disponible dans l’environnement et directement exploitable sans transformation) est utilisée uniquement pour extraire et raffiner les métaux !
Pour remédier à la pénurie des ressources énergétiques, la montée en puissance des énergies renouvelables semble être une ré-ponse évidente. Pourtant, les éoliennes, les panneaux solaires ou les batteries électriques sont fabriqués à partir de métaux rares non renouvelables. Plusieurs auteurs et cher-cheurs soutiennent que le déploiement mas-sif d’énergies renouvelables à l’échelle plané-taire n’est pas compatible avec la disponibilité réelle des métaux. Qu’en est-il du recyclage ? Cela semble être une solution logique, mais aujourd’hui moins de 1% des composants métalliques de pro-duits ‘high-tech’ est réellement recyclé. Le reste est trop difficile à recycler car mélangé à d’autres composants, fondu dans des alliages ou micro-dispersés dans de l’électronique qui n’a pas été conçue pour un recyclage facile. Et s’il existait un autre modèle de développe-ment dans lequel les « technologies douces » ou ‘low-tech’ remplaceraient progressivement les ‘high-tech’ d’aujourd’hui ?

Des innovations frugales

Le ‘low-tech’ (littéralement « basse techno-logie »), qui peut sembler être un oxymore, s’oppose explicitement au ‘high-tech’. Il se caractérise par la mise en œuvre de technolo-gies peu onéreuses, accessibles à tous et faci-lement réparables, faisant appel à des moyens courants et localement disponibles (dont la réutilisation ou le recyclage d’objets et/ou de matériaux usuels). Ce sont des solutions tech-niques qui cherchent à être simples, bien pen-sées, bien dimensionnées et réparables. Elles sont issues d’une fabrication souvent locale, favorisant l’emploi, plus proche de l’artisanat que de la production industrielle, voire de la « prosommation » (consommation plus active et plus critique).
Les ‘low-tech’ sont souvent issues de maté-riaux recyclés ou directement de la nature et sont, par définition, peu gourmandes en énergie et respectent donc davantage l’environnement. Ce sont des technologies visant à remettre l’Homme au centre des principales préoccu-pations, de par son savoir-faire et son sens pratique. Il s’agit d’être ingénieux afin de fabri-quer ou de réparer soi-même les objets. Ainsi, le ‘low-tech’ est un concept humaniste proche du « Do It Yourself » ou « DIY », philosophie qui incite les individus à réaliser leurs propres objets à partir de pièces détachées ou de com-posants simples ou recyclés.
Le ‘low-tech’ fait partie intégrante du concept d’innovation frugale qui consiste à répondre à des besoins déterminés par des solutions technologiques les moins sophistiquées et les moins coûteuses possible, sans pour autant faire de concession sur le niveau et la qualité du service rendu. Les ’low-tech’ ne sont pas un retour en arrière !



Exemples ‘low-tech’ :
• De nouvelles maisons faites à partir de matériaux entièrement recyclés voient le jour aux quatre coins de la planète. Le coût est très réduit par rapport à une habitation normale, de l’ordre de 500 €/m2 en Europe. Dans les pays où il fait très chaud, refroidir les maisons coûte cher et consomme beau-coup d’énergie. En utilisant de la terre cuite, les dépenses et les pertes de chaleur sont considérablement réduites. De plus, la terre cuite a besoin de très peu d’énergie pour être produite et peut être recyclée indéfiniment.
• Le four solaire pour mijoter des petits plats est un autre exemple ‘low-tech’. Ce type d’équipement rudimentaire permet égale-ment de générer de l’eau potable par pas-teurisation ou encore de désaliniser l’eau de mer par évaporation/condensation.
• Des couveuses à base de pièces déta-chées de voiture : conçues par un ingénieur d’Afrique de l’Ouest pour les maternités lo-cales, elles sont fabriquées avec des pièces Toyota. La marque étant très implantée dans la région, aucun problème d’approvisionne-ment pour les réparer.

L’informatique ‘high-tech’ n’échappe pas au phénomène : des versions allégées du sys-tème d’exploitation gratuit et collaboratif ‘Linux’, destinées à prolonger l’usage effectif d’ordinateurs aux performances obsolètes, en sont une illustration flagrante.

Les 3 règles d’or

• Les ‘low-tech’ sont des objets réparables

De nos jours, le principal objectif des ingé-nieurs est l’efficacité, souvent obtenue au détriment de la robustesse et de la réparation. Ainsi, les smartphones, ordinateurs portables et autres appareils électroniques sont quasi jetables et se retrouvent à la poubelle dès qu’ils cessent de fonctionner ou deviennent obsolètes. Cette « société du jetable » est évidemment hautement préjudiciable à l’environnement.
Les objets ‘low-tech’ sont, par définition, fa-ciles d’entretien et offrent la possibilité d’être entretenus ou réparés localement, par l’utili-sateur ou par un artisan proche. Le fonction-nement reste simple et compréhensible au plus grand nombre. Les ‘low-tech’ sont donc extrêmement modulables. Les vélos représentent l’archétype du produit ‘low-tech’ : tout le monde peut le réparer et, avec un entretien approprié, sa durée de vie est très élevée.

Les ‘low-tech’ sont recyclables
Au moment du recyclage, les objets et ‘tech-nologies douces’ permettent la récupération d’un maximum de matériaux qui ont servi à leur fabrication, voire leur quasi totalité. Ce qui n’est pas possible pour les produits ‘high-tech’ d’aujourd’hui.

Les ‘low-tech’ sont viables
Les objets et systèmes sont conçus en utili-sant le moins de ressources possible, en privi-légiant les matériaux issus de ressources re-nouvelables, présentes en grande quantité sur la planète. De plus, cela permet aussi qu’ils soient réalisés à un prix abordable, toujours dans l’optique d’accessibilité et de démocratisation qui les caractérisent.

Différence ‘low-tech’ et ‘green-tech’
Les ‘green-tech’ sont issues des ‘high-tech’. Ce sont des technologies écologiques de pointe qui cherchent à améliorer le quotidien et l’environnement. Ces technologies vertes représenteraient une 3ème révolution industrielle. Cependant, malgré leur fonction écologique, elles sont fabriquées avec des matériaux issus de ressources non renouvelables, notamment des métaux rares. La différence entre les deux technologies est donc la notion de durabilité. Alors que les ‘green-tech’ présentent une solution viable sur le court terme, les ‘low-tech’ présentent des solutions moins avancées technologiquement, mais viables à long terme.
Il existe ainsi deux écoles : celle de la fuite en avant où l’avenir de la planète passe par une avancée de plus en plus poussée de la technologie et celle, plus réaliste, qui prône une nouvelle façon de vivre plus respectueuse et 100% soutenable.




Replacer l’humain au centre

Alors que la course à la technologie et à la complexité des appareils se fait de plus en plus féroce, les ‘low-tech’ représentent des technologies accessibles et réparables par tous. De plus, des métiers en rapport avec les ‘low-tech’ sont amenés à se démultiplier dans les années à venir. Des études démontrent que d’ici 2026, de nombreux nouveaux métiers ‘low-tech’ apparaîtront avec un fort impact social et économique. Les ‘low-tech’ étant des technologies disponibles au plus grand nombre, les métiers créés grâce à elles sont, par définition, des métiers d’accès facile et qui ne nécessitent pas forcément de formations complexes ou de prestigieux diplômes. Elles s’imposent donc comme un modèle social, visant à être abordables pour chacun, peu importe le niveau d’étude ou les moyens financiers.
Par ailleurs, les ‘low-tech’ visent à être réparables localement et ainsi faire évoluer le commerce de proximité et les artisans, en créant des liens sociaux entre les citoyens d’un même quartier ou village. Cela permet également de donner un nouveau souffle à de nombreux métiers qui sont en voie de disparition sous la pression des grands groupes industriels.
Les ‘low-tech’ s’imposent aussi face aux ‘hightech’ au niveau des droits humains. En effet, pour obtenir des matériaux rares présents dans les hautes technologies, des mineurs très jeunes, parfois des enfants, sont utilisés pour excaver ces matériaux, souvent dans des conditions périlleuses. Les ‘low-tech’ sont dès lors les garantes des droits humains en n’utilisant aucun matériau issu de ces pratiques.

Vers une autre consommation

La philosophie des ‘low-tech’, comme celle de la décroissance, permet de repenser les « indicateurs économiques de richesse », ainsi que la place du travail dans la vie, en recentrant l’attention sur l’être-humain, plutôt que l’avoir-humain.
Bien que l’aspect écologique et recyclable des matériaux soit important, la philosophie ‘lowtech’ invite également à repenser notre façon de consommer car le recyclage total n’est pas encore possible. Aussi, l’art de vivre ‘low-tech’ va questionner les besoins des consommateurs. Le modèle économique de la société de consommation serait dès lors à revoir, afin de recentrer nos consommations sur nos besoins réels.
Les ‘low-tech’ privilégiant les artisans locaux et les commerces de proximité aux grandes enseignes de vente, les productions locales gagnent en valeur brute, tout en développant une économie rentable pour de nombreux artisans. Un autre principe des ‘low-tech’ est la durabilité dans le temps qui s’oppose à l’obsolescence programmée des objets ‘high-tech’. Même si celle-ci est censée être illégale, de nombreux fabricants d’appareils électroniques sont accusés de réduire volontairement la durée de vie de leurs produits. En étant solides et recyclables dans le temps, les ‘low-tech’ répondent au problème de la consommation excessive.
Bref, avec l’émergence des ‘low-tech’, non seulement la société de consommation se modifiera en profondeur, mais c’est surtout sa logique économique qui sera vouée à se transformer, produisant immanquablement des changements structurels et salutaires.

Basse-tech en haute estime

A l’image du marteau qui prend sa force en reculant, se pourrait-il que nos sociétés aient apparemment régressé — générant les crises économiques, environnementales et sociales que l’on connaît — pour s’élancer et permettre l’émergence d’une nouvelle vision du monde ? Une vision où la sobriété deviendrait une nouvelle valeur-clef, tandis qu’intelligence et créativité humaines produiraient de nouvelles formes de technologies moins opulentes, complexes et énergivores, mais plus séduisantes, simples et fonctionnelles ? Partout dans le monde, des citoyens-pionniers et ambassadeurs de cette nouvelle vision simplifient, innovent, recyclent et combinent des matériaux anciens et nouveaux pour concevoir des ‘technologies douces’. Ces « anciennes technologies du futur » représentent autant de preuves concrètes qu’une nouvelle génération créative est prête à relever les défis actuels afin de co-créer un monde respectueux et en équilibre à tous niveaux.

Olivier Desurmont

« L’Âge des low tech - Vers une civilisation techniquement soutenable » de Philippe Bihouix aux Editions Seuil




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