la Pleine Conscience
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la Pleine Conscience



Comment la méditation de pleine conscience peut-elle contribuer à rendre le monde meilleur ?





Olivier Raurich,
scientifique de formation, il rencontre la méditation auprès des maîtres tibétains proches du Dalai Lama, et collabore pendant trente ans à leur travail en tant qu’interprète et enseignant de la méditation et de la sagesse bouddhiste.

A partir des années 1960, différents courants bouddhistes se sont implantés en Occident : émigration des Tibétains chassés de leur pays, arrivée de maîtres Zen comme Deshimaru, Thich Nhat Hanh (qui a introduit le terme de Pleine Conscience en France bien avant l’arrivée de la méditation laïque), et bien d’autres. A la fin du XXème siècle, Jon Kabat Zinn s’est inspiré de la méditation bouddhiste pour proposer un protocole universel de réduction du stress, la MBSR. A leur tour, les psychiatres ont adapté cette approche à la thérapie en créant la MBCT, Thérapie Cognitive basée sur la Pleine Conscience.

La Pleine Conscience et graines d’avenir

Aujourd’hui, la Pleine Conscience est en plein essor. Ses bienfaits sont avérés par la médecine, les neurosciences et la psychiatrie : meilleure santé, meilleure qualité d’être, harmonie relationnelle accrue. Néanmoins une grande question se pose : s’agit-il uniquement d’une recherche de mieux-être individuel ou bien la méditation de Pleine Conscience contribue-telle à rendre le monde meilleur ?
La première réponse qui vient à l’esprit est assez évidente : le monde étant fait d’individus, si des millions d’individus voient leur vie progressivement transformée vers un mieux-être physique et psychique, le monde est indubitablement meilleur ! Même si cela ne fait pas la une des journaux. N’oublions jamais que le bonheur est bien moins médiatique que le malheur. Vous entendrez rarement parler au journal télévisé d’une famille qui a retrouvé l’amour, d’un enfant malheureux qui a retrouvé la joie de vivre,… Dix arbres qui s’effondrent font plus de bruit qu’une forêt entière qui pousse.

La question demeure néanmoins de l’utilité globale de la Pleine Conscience pour les problèmes politiques et écologiques mondiaux. A cela, quelques réponses.
Tout d’abord, les bienfaits individuels de la Pleine Conscience s’étendent maintenant, de plus en plus, au monde de l’éducation : les enseignants qui utilisent la Pleine Conscience font état de transformations parfois spectaculaires dans la dynamique des classes. Les millions d’enfants apprennent à l’école à trouver la paix intérieure, à exprimer et à gérer leurs émotions, à s’émerveiller de l’instant présent, à communiquer en conscience ; autant de graines de paix pour le monde de demain. Rappelons qu’en Amérique du nord et en Europe du nord, la Pleine Conscience est largement entrée dans la vie quotidienne des écoliers et des lycéens.

Contentement versus consumérisme

Par ailleurs, il est facile de constater que le désastre écologique annoncé ainsi que l’accroissement des inégalités dans le monde sont principalement dus au consumérisme et à l’avidité, euxmêmes savamment entretenus par une insatisfaction généralisée. En France, se plaindre, insister sur ce qui ne va pas, être insatisfait, est une pratique quasi-religieuse, une grand-messe nationale.
Or, un élément essentiel de la Pleine Conscience est d’entrer dans la sérénité de l’instant présent. Regarder, écouter, voir la beauté de l’ordinaire. Mais ceci est l’exact opposé du consumérisme qui ruine la planète ! A quoi bon passer des vacances à l’autre bout du monde ou acheter je ne sais quelle nouveauté à la mode, si on peut ouvrir les yeux sur la nature qui nous entoure et sur le visage de nos proches ? Savourer les joies de la simplicité ? Quand la Pleine Conscience entrera dans les moeurs de toute la société, elle contrecarrera de plein fouet la dynamique du « toujours plus » qui nous mène à la catastrophe.



Voeux pieux ou valeurs incarnées ?

Nous touchons là le coeur du problème : le décalage entre les voeux pieux et les instincts profonds. Les habitants des pays riches sont en grande majorité intellectuellement d’accord sur la nécessité de réduire leur empreinte carbone, néanmoins la plupart continuent à consommer et voyager comme avant. Pourquoi ? Parce que ces valeurs ne sont pas incarnées, elles restent à l’état de discours intellectuels, de voeux pieux. Face à cette résistance instinctive au changement, le seul moyen serait de réglementer et d’imposer un comportement écologiquement vertueux, ce dont personne ne veut, cela rappelle trop l’URSS…
La Pleine Conscience, quant à elle, est une vraie transformation intérieure, un changement de paradigme complet, où l’on constate que le bonheur est déjà présent ici même. On peut mener une vie riche et pleine de sens, profondément nourrissante, sans être dans une convoitise illimitée de ce que l’on n’a pas. Une fois que ceci sera établi et ancré dans la culture commune (ce qui prendra une ou deux générations et l’éducation a un rôle majeur), la société changera de moeurs, tout simplement. Le virage vertueux se fera de lui-même, progressivement, tout comme se fait la libération sexuelle et le respect des minorités depuis un demisiècle : lentement mais inexorablement.
C’est cette révolution culturelle globale que je vois s’amorcer aujourd’hui.
Une condition importante à cela néanmoins : que la Pleine Conscience soit comprise et enseignée dans son intégrité, comme une philosophie et une pratique de vie, et non seulement comme un outil temporaire de relaxation, un produit de plus dans le monde marchand à côté de la crème anti-rides.
Mais, me direz-vous, vous parlez d’une ou deux générations ; et il y a urgence ! Oui, c’est pourquoi loin de moi l’idée de discréditer l’action politique. Elle est indispensable et j’admire au plus haut point ceux qui la mènent. Les deux doivent marcher la main dans la main : une action politique par tous les moyens pour conscientiser au désastre écologique et aux inégalités mondiales, mais soutenue en profondeur et de l’intérieur par un changement de fond dans la culture : une culture de l’Être Plus, et non de l’avoir plus.
Merci de tout coeur à ceux qui sont engagés dans ce grand changement de paradigme de l’humanité, à commencer par ce journal !




Dat Phan Angevin
Ordonné moine bouddhiste par le maître Zen Thich Nhat Hanh, Dat Phan Angevin est resté moine dans la communauté du village des pruniers pendant 20 ans. Il est aujourd’hui marié et père de deux enfants et anime des formations dans le monde entier et dans son centre en Haute-Loire « La maison aux cèdres bleus».


Aux Cèdres Bleus, le centre de pleine conscience où je vis avec ma famille se trouve la rivière Semene qui longe l’abbaye cistercienne du XVIIe siècle. Elle est maintenant notre demeure et un lieu où les gens peuvent venir se laisser embrasser et se nourrir de la beauté de la nature, la chaleur de la communauté et les profondeurs silencieuses de la solitude de l’âme.

S’ouvrir au moment présent

Dans la rivière, il y a des cailloux lisses et bien arrondis formés, siècles après siècles, jour après jour, par l’écoulement constant de l’eau. Chacun d’eux parfaitement à sa place, en harmonie avec le monde. La vie nous appelle constamment au moment présent pour redécouvrir cette harmonie que nous avons peut-être abandonnée dans notre enfance. Nous sommes tous invités à écouter nos aspirations les plus profondes afin de créer un nouveau paradigme au service de tous les êtres vivants et pour rendre ce monde meilleur.

Guérir nos peurs et calmer le mental

A côté de cette harmonie qui nous entoure, depuis trop longtemps dans notre histoire humaine, nous sommes sous l’emprise de nos peurs, en nous concentrant principalement sur nos différences - race, nation, sexe, âge, classe sociale, ... Dans l’ombre de notre progrès et de notre démocratie moderne, nous avons inconsciemment façonné une culture individualiste dans laquelle le mental prime sur le coeur. Il n’y a que peu de place pour l’harmonie mais plus pour le conflit, le repli sur soi, la non-acceptation de nos différences. Comment pouvons-nous être comme ce caillou bien rond, dans la paix et la quiétude pour prendre notre place joyeusement dans le monde ?
Il y a une « chaîne radio » appelée PNS (pensée non-stop) qui nous empêche de nous relier intimement aux montagnes et aux rivières, aux couleurs d’une fleur ou à la beauté d’un visage. Pendant trop longtemps, nous avons affûté l’intellect et adoré la pensée - faisant écho à Descartes : « Je pense donc je suis. »
Cette habitude mentale nous entraîne à opérer une division entre « nous » et « eux ». Des instruments sophistiqués et des idées complexes peuvent aider à façonner notre monde technologique et matériel, mais il nous appartient, dans toute cette accélération et cette modernité, de cultiver des moments d’intériorité, de connexion à notre être, d’attention à nos aspirations et ressentis. Inconsciemment, nous cherchons le bonheur et les solutions à notre mal-être à l’extérieur de nous-même. « Si vous souhaitez trouver de l’or ou des diamants, il vous faut souvent creuser profondément. »

Élargir sa conscience

Être attentif, c’est prendre conscience de nous-mêmes et aussi du lien avec notre environnement. « La méditation », comme disait le maitre Zen Thich Nhat Hanh, « est une rencontre sereine avec la réalité. » Au début, je peux être conscient de mes pas et de mon souffle, puis de mes émotions et de mes perceptions. Puis le ciel bleu et le vent. Je peux voir que je me promène dans le jardin contemplatif de Cèdres Bleus. À mesure que ma conscience s’élargit, je me rends compte que je suis en France. Alors qu’il continue à s’ouvrir, l’évidence c’est que je marche sur la Terre. Et à un moment donné, la division entre moi et le monde s’efface car ce ne sont que des concepts mentaux. C’est comme prendre un avion haut dans le ciel et voir au-delà des frontières. Je suis le monde, le monde c’est moi. Ou, comme le philosophe Spinoza le considère : « La Terre est un organisme vivant. »

S’ouvrir à l’abondance en nous

L’attention est un concept fondamental de la pleine conscience et elle conduit à une meilleure compréhension. Nous pouvons nous rendre compte que nous avons déjà une abondance autour de nous et à l’intérieur de nous - que nous sommes déjà des êtres complets et parfaits et qu’il n’y a absolument rien à ajouter ou à soustraire.
La pleine conscience consiste à prendre conscience du monde intérieur et du monde extérieur. Le caractère chinois de pleine conscience (nian, ) a deux caractères. Celui du haut signifie, le moment présent, celui du bas, le coeur. La traduction anglaise la plus proche n’est pas le « mindfulness » (la pleine conscience), mais peut-être le « heartfulness » (la conscience du coeur). Par conséquent, le moment présent n’est pas seulement de savoir où nous en sommes dans le temps et l’espace, mais il inclut et embrasse finalement une vision du monde qui touche notre humanité commune au lieu de nous concentrer sur nos différences. Cette idée ouvre la porte à la compassion.

Harmoniser toutes les instances de la société

Alors que la pratique de la pleine conscience prend sa place dans le monde dans les domaines des neurosciences, de la santé, de l’éducation et des entreprises, nous avons besoin d’une vision juste de la manière de l’appliquer aux différents aspects de la vie.
Voici un graphique, ci-dessous, exprimant cette vision de la pleine conscience intégrale à 4 niveaux.
Notre société moderne est basée sur la compartimentation. Nous avons été formés pour nous spécialiser dans un sujet et négliger le reste. Nous nous sommes séparés de la nature, des autres et, malheureusement, de notre moi plus profond. Le résultat est une crise écologique, sociale et existentielle. D’où l’urgence d’une approche intégrale pour nous rappeler que la réalité forme un tout et pas seulement des parties individuelles.






Steven Laureys
Quand un neurologue décide d’étudier le cerveau d’un moine bouddhiste


Neurologue et Professeur de Clinique au Département de Neurologie du CHU de Liège, Directeur de recherches au FNRS, Steven Laureys dirige le Coma Science Group au sein du Centre GIGA Consciousness de l’Université de Liège. La majeure partie de ses travaux de chercheur est consacrée à l’étude des altérations de la conscience. Il est l’auteur de plus de 350 articles scientifi ques.
Etre Plus a eu la chance de l’interviewer à l’occasion de la sortie de son livre « la Méditation, c’est bon pour le cerveau ».

Etre Plus : En tant que neurologue et chercheur, qu’est-ce qui vous a motivé à étudier le cerveau d’un méditant ?

Steven Laureys : Dans mon parcours de neurologue, j’ai été en contact il y a une dizaine d’années avec des personnes ventant les bienfaits de la méditation de pleine conscience. J’étais à l’époque très sceptique d’autant qu’il y avait peu d’études scientifi ques sur le sujet.
En 2012, après une séparation, je me suis retrouvé seul avec mes trois enfants et très désemparé. Au cours d’une journée de conférences, j’ai rencontré Matthieu Ricard (moine bouddhiste et porte-parole du Dalai Lama). Nous avons sympathisé et, voyant mon désarroi, il m’a proposé de venir suivre une retraite de méditation avec lui, ce que j’ai fait. En échange, je lui ai proposé d’être « l’objet » de recherches au niveau cérébral en lien avec sa longue pratique de méditant, rien de moins que 60 000 heures de méditation, j’avais affaire à un « athlète de l’esprit » ! Les observations, que vous pouvez découvrir dans le livre montrent, en autres, un cortex cérébral et des connexions cérébrales très développés.
Matthieu Ricard, également scientifi que de formation, m’a permis d’étendre mes connaissances sur l’impact de la méditation sur le plan cérébral en complément des recherches que j’ai menées avec mes équipes.
Certaines de ces études démontrent que si vous méditez environ 20 minutes chaque jour, vous pouvez ressentir des effets positifs au bout de quelques semaines en matière de gestion des émotions. Des modifi cations mesurables de la structure et du fonctionnement du cerveau ont également été observées par imagerie médicale.

Fort de ces avancées personnelles et professionnelles, j’ai trouvé des ressources pour surmonter les émotions diffi ciles liées à ma situation familiale et m’aider à mieux vivre le stress élevé lié à mon travail . Nul besoin de méditer des milliers d’heures et de se retirer de longs mois dans un ermitage pour ressentir les bienfaits de la méditation. Une formation sérieuse et une pratique régulière permettent d’en ressentir rapidement les bénéfi ces et l’apaisement. Dorénavant, je prends un temps de pause et de respiration entre chaque patient. Je prescris également la méditation à des patients souffrant de céphalées, de burn out, d’anxiété et d’autres pathologies. Je suis aujourd’hui convaincu que la méditation doit être enseignée dans les facultés de médecine, à l’école et dans d’autres sphères de la vie sociale et professionnelle. Notre mental, comme notre physique, a plus que jamais besoin que l’on prenne soin de lui.





Paru dans l'Agenda Plus N° 310 de Septembre 2019
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