Donner et recevoir,
le mouvement naturel de la vie
La période des fêtes
Noël est par excellence un moment où le mot
donner prend une place primordiale. On donne
à ceux que l’on aime, on donne par solidarité,
on donne par amour et parfois un peu par
obligation…
Donner cela se mûrit, même si, à l’approche
des fêtes, c’est souvent la frénésie car parfois
« il faut faire un cadeau » et « je n’ai pas le
temps » ou « il faut faire plein de cadeaux et
j’ai encore moins le temps ».
Dans cette vie où le temps vient à manquer, l’on
s’y prend à la dernière minute. On finit parfois
par acheter un truc ou l’autre sans vraiment se
demander si ce cadeau fera réellement plaisir
et sans ressentir la joie de trouver l’idée qui
ravira. Tout cela finit par coûter cher et surtout
n’a plus beaucoup de sens. Où est le plaisir
d’offrir de cette manière ? La valeur du cadeau
n’est pas, comme certains tendent à penser,
dans son prix ou dans sa taille.
Si on y mettait un peu de soi… Et si on se
(re)questionnait sur le sens de l’acte d’offrir
pour savoir dans quelle mesure nos dons
proviennent d’un coeur ouvert et généreux et
non visant à renforcer notre image d’être une
personne aimable et attentionnée ?
Donner, vraiment…
Donner, c’est un acte (et pas une parole) qui
nous demande de partager quelque chose de
précieux de nous, sinon ce n’est pas vraiment
donner, c’est simplement laisser aller.
Donner c’est donc offrir quelque chose
d’important pour le récipiendaire et qui peut
exiger beaucoup de nous :
• Par exemple donner du temps, offrir un
week-end, une soirée, une semaine, offrir
une présence régulière.
• En conscience, en y mettant une intention
d’amour, d’altruisme ou en choisissant
minutieusement ce qui sera offert.
• Se montrer généreux en donnant de notre
argent, en offrant un cadeau, en faisant
un don à une oeuvre caritative, en donnant
simplement de l’argent à quelqu’un, quelque
chose de significatif pour nous comme pour
celui qui reçoit.
• le tout emballé de confiance et d’attention
à l’autre qu’il(elle) en fera le meilleur usage.
• Avec une bonne dose de liberté, en ne
voulant pas contrôler ce qui advient de la
chose donnée.
• Et sans attendre de reconnaissance, de
gratitude ou d’énergie, de réciprocité.
• Et avec amour, car un vrai don se fait dans
la conscience de pouvoir donner avec amour
car, conscient qu’on a reçu, on peut donner
à notre tour légèrement, avec la légèreté du
coeur.
Soyons humbles, tous nos actes de dons et
tous nos cadeaux ne sont pas empreints de
cette belle énergie. Soyons lucides, notre
manière d’offrir des cadeaux en dit beaucoup
sur notre personnalité.
Noël et sa très belle tradition de dons est juste
là, à nos portes aussi pour nous questionner
sur notre art de donner.
Comment puis-je raffiner et cultiver mon art
du don et ainsi devenir encore une plus belle
personne ?
Le temps, un don précieux
Nous vivons une époque ultra connectée et,
paradoxalement, de plus en plus de gens se
sentent seuls. Nous passons peu de temps
physiquement ensemble et prenons peu de
temps pour être tout simplement. Certains
parents vont offrir à leurs enfants de superbes
cadeaux pour pallier le manque de présence,
de disponibilité. Pourtant, se rendre disponible
pour l’autre, voilà un vrai don de soi.
Regardons dans les cafés par exemple,
certaines personnes passent plus de temps
sur leur téléphone portable qu’à se parler.
Alors, plus que jamais, le temps devient un
merveilleux cadeau.
Donner de son temps, c’est donner un peu de
soi et être dans un échange vrai. Transmettons
à nos enfants cette valeur essentielle qui
ne se déprécie pas au fil des années et qui,
contrairement à un cadeau acheté à la dernière
minute, laissera des souvenirs impérissables.
Le temps c’est aussi un cadeau précieux pour
des personnes dont les horizons sont réduits
par la maladie, la souffrance, l’absence ou la
perte de repères. Pouvons-nous donner un peu
plus à des personnes accidentées de la vie ?
Car, si un jour ou l’autre cela nous arrivait, ne
serions-nous pas heureux de recevoir ?
Les cadeaux dématérialisés
Pas de limites sauf celles de notre créativité !
Tout est possible. Regardons autour de nous,
nous avons tous trop de choses, d’objets qui
s’accumulent et finissent par nous envahir.
Ils prennent non seulement de la place mais
souvent une importance démesurée dans nos
vies.
Les cadeaux dématérialisés sont ceux qui
nous font vivre une expérience nourrissante.
Offrir à découvrir un nouvel univers, offrir un
temps pour ressourcer le corps, le couple,
offrir pour visiter, s’ouvrir à un autre monde et
accompagner cette ouverture…
Offrir des choses qui contribuent au bien-être :
offrir un massage, offrir la découverte d’une
discipline, offrir un accompagnement à une
méditation guidée, offrir une journée dans un
centre thermal, …
Les cadeaux dématérialisés sont aussi ceux
qui génèrent le moins de déchets.
Envisager de donner autrement, c’est aussi
faire un cadeau à la planète. Chaque année,
les poubelles débordent d’emballages qui
n’auront servi que quelques instants. Adoptons
une démarche plus éco-responsable et
réfléchie en ces périodes de fêtes. Testons la
tradition japonaise des emballages en tissus.
Le DIY (Do It Yourself)
Le retour au naturel, aux sources des choses et au travail d’artisans se fait de plus en plus sentir. Le faire soi-même est devenu un mode de vie qui permet d’épanouir ses talents et de consommer autrement. Si vous aimez confectionner des choses par vous-même, c’est le moment ! L’upcycling ou le recyclage est un concept très tendance qui permet de récupérer des objets et de les transformer pour leur donner un nouvel usage. De nombreux ateliers et tutos sur internet permettent de se lancer et d’apprendre comment réaliser des choses de ses mains. www.idoitmyself.be • www.pierrepapierciseaux.be • www.petitem. be • www.lesateliersdegen.be
Ce n’est pas simple de recevoir
« Donner est plus agréable que recevoir » a écrit le dramaturge français Scribe au 19ème siècle. Cela peut sembler paradoxal car nous devrions tous aimer qu’on nous fasse plaisir. Pourtant cela ne va pas de soi. Dès la petite enfance, on nous dit qu’il faut donner, partager, aider les autres, surtout ne pas être « égoïste ». On nous apprend à être là pour autrui, mais pas à être là pour soi et encore moins à faire de la place pour les attentions qui nous sont adressées. On ne nous montre pas comment accueillir tout simplement.
Un lien d’intimité
Recevoir crée une certaine intimité entre deux personnes, un lien qui peut mettre mal à l’aise. Pourtant recevoir et donner font partie d’un tout, sont imbriqués l’un dans l’autre. Recevoir, c’est également donner à l’autre la possibilité de traduire ses sentiments, lui faire de la place dans notre univers. C’est une forme de don, un acte de générosité. Ce voyage dans l’intime se fait également de soi à soi. Dans le mot « recevoir » l’on peut entendre « re-se-voir » : regarder vers soi, être en contact avec soi, se reconnecter à soi. Et c’est là que ça peut poser problème.
Tout se joue dès le plus jeune âge. Si nous ne nous sentions pas acceptés en tant qu’individu, mais plutôt pour nos réalisations et nos accomplissements, nous ne pouvons pas nous sentir en sécurité pour recevoir. Cela nous déséquilibre, nous rend vulnérable. Se pose alors la question de la légitimité. Comme si nous ne méritions pas cette attention, cet amour de l’autre. Peu de gens savent pleinement accepter un compliment par exemple. Manquant d’estime d’eux-mêmes, ils ont du mal à croire en la sincérité des mots et peuvent même y voir un outil de manipulation.
L’amour de soi
Et si cette difficulté à accepter la générosité d’autrui venait d’une difficulté d’être généreux envers soi-même ? Penser à soi fait peur car on y voit ses excès, le narcissisme et l’égoïsme. Recevoir serait se remplir soimême. Beaucoup d’entre nous ont grandi en croyant qu’il est plus noble de donner que de recevoir. Mais, avant tout, il faut être capable de s’aimer, d’être doux envers soi. Arriver à être empathique envers soi-même et se laisser aller à accepter les cadeaux - qu’ils passent par les mots ou le matériel - voilà le défi. Quand une tierce personne veut nous faire plaisir, cela éveille des émotions et exprimer ses émotions n’est pas une chose aisée. A nouveau, cela renvoie à sa propre intimité, à ce qui nous appartient. Alors que, lorsqu’on donne, on est témoin de l’émotion des autres et c’est elle qui nous réchauffe le coeur. En recevant avec une tendre compassion, en pleine conscience, nous nous laissons toucher par les dons de la vie, qu’ils soient petits ou grands. Ainsi nous nous connectons à soi, aux autres et au monde.
Se donner
Pour la plupart d’entre nous, notre culture a imprimé dans notre grande mécanique psychique beaucoup de plaisir à donner aux autres, à partager leur émerveillement de recevoir, leur gratitude, leur surprise. Le mouvement du donner et recevoir est émotionnellement bien stimulé par les circuits de la récompense, donner à autrui stimule notre plaisir. Offrir un beau cadeau à l’autre, n’est-ce pas merveilleux ?
Mais cela nous rend également parfois dépendant car le plaisir du donner-recevoir est lié à une relation… et pour bon nombre de personnes qui vivent seules par choix, par accident de la vie (divorce, séparation, maladie, perte d’un être cher, etc. ) ou par obligation (travailler loin de chez soi, etc.), il importe aussi de savoir se donner.
Savoir se donner le meilleur. Savoir se donner le temps, organiser nos priorités et gérer notre ressource « temps », s’offrir des soins, s’offrir un équilibre, un accompagnement thérapeutique, s’offrir quelques jours de repos, s’offrir un cadeau. Il s’ensuit un besoin de s’octroyer le don. Ce n’est pas si évident, car quelques vieux reliquats judéo-chrétiens viennent encore parfois enrayer la machine, de se donner à être égoïste, certains points de vue nous font parfois vaciller dans la culpabilité alors qu’elle n’a pas de raison d’être à ce moment.
Dès lors que nous sommes le principal responsable et le seul maître de notre vie et donc de nous-mêmes, où est le problème de savoir se donner le meilleur ? Cet apprentissage ne devrait-il pas être transmis par la famille et l’école, pour apprendre une meilleure autonomie et réduire nos dépendances affectives ?
Le confort des contreparties tangibles
Dès que notre mental est capable d’activer une corrélation entre le donner et le recevoir, et qu’il a la sensation de contrôle, d’un équilibre entre donner et recevoir, donner reste confortable. Je te donne une heure de mon travail, en échange tu feras de même. Je t’aide à la cuisine, et par la mécanique assez bien huilée du savoir-vivre qui comprend le sentiment de juste réciprocité, tu m’aideras au jardin.
Ce « donner » là reste dans le domaine du contrôle. Car notre mental compare souvent implicitement le donner et le recevoir et cherche à valider l’équilibre.
Le « donner » qui est moins aisé pour notre égo, ou notre mental est de donner gratuitement, sans attente, sans contrepartie immédiate. Donner à une ONG, donner à un proche, donner à la vie, donner en voyage, donner même si l’on sait qu’on ne reverra jamais l’autre,…
Ce « donner-là » nous demande de nous dépasser, de faire confiance à la vie, de remercier la vie et de nous pousser à offrir des cadeaux au monde.
C’est précisément cette posture de « donner » gratuitement qui fait la force de notre humanité. Car donner devient progressivement un état d’esprit, … car tout ne nous a-t-il pas été donné ? La vie, des infrastructures, des acquis sociétaux, des droits, ici une démocratie, un système de soins de santé, etc.
Invitation est adressée à chaque lecteur : dans notre vie, si nous faisons le compte de ce qui nous a été donné gratuitement et contre échange, qu’est-ce qui est le plus volumineux ? Assurément pour la plupart la partie du don gratuit, entier, engagé.
L’attitude du donateur
Pour celui qui reçoit, l’attitude du donateur présente autant d’importance que ce qui lui est offert. Avec le don une énergie est transmise. Les différentes manières de donner peuvent aussi être porteuses d’énergies négatives pouvant engendrer un sentiment d’offense, d’humiliation ou de subordination. Un cadeau remis sans joie de façon machinale vient contrecarrer l’acte en lui-même. La délicatesse du geste prend ici toute son importance car elle met en lumière la douceur, la chaleur de coeur du donateur. Cette attitude positive permet au donataire de ressentir pleinement de la gratitude. L’échange est un maillon primordial de la vie sociale. C’est ce flux d’énergies, cet échange d’émotions qui nous nourrit et nous lie les uns aux autres.
Quelle occasion de grandir !
Noël arrive… la vie nous offre une occasion de plus de nous exercer au don plus profond, au don qui va nous faire grandir, au don qui va nous réjouir, semer des étoiles dans les yeux et cultiver notre grandeur d’âme.
Le don qui devient chaleur du coeur, qui fortifie nos relations, qui les nourrit.
Nous qui vivons dans un pays de cocagne, n’avons-nous pas à réfléchir (et à agir !) à ce que nous pouvons offrir à la vie, à d’autres humains, loin d’ici ? Là où l’humanité n’a pas cette chance et cet immense privilège de l’abondance.
Vanessa Jansen & Raphaël Dugailliez
Paru dans l'Agenda Plus N° 313 de Décembre 2019