Rites de passage, rituels et célébrations de l’acte symbolique à l’expression de l’Être
Vidéos
Annuaire
Retour

Rites de passage, rituels et célébrations de l’acte symbolique à l’expression de l’Être



Depuis au moins 70 000 ans, les rituels forment un fil conducteur qui relie l’Humanité à travers les âges. Aujourd’hui, à l’heure de l’indispensable transition individuelle et sociétale, quel est son sens dans un monde de plus en plus laïque, complexe et coupé du Vivant ?



Les termes « rite » et « rituel » viennent du latin « ritus », signifiant « ordre prescrit », qui serait lui-même issu d’une forme de l’indo-européen védique « rta » ou « arta », évoquant l’ordre du Cosmos. L’étymologie nous renseigne donc sur un aspect essentiel du rituel qui peut se traduire par un ensemble de règles symboliques codifi ées, un cadre prescrit, pour se relier à un ordre supérieur.
Quels que soient les lieux et les époques, les rituels ont toujours célébré les transitions, balisé le passage du temps et les événements importants jalonnant la vie humaine. Plus important encore, ils jouent à la fois un rôle social essentiel en renforçant le sentiment d’identité et d’appartenance communautaire ; mais également un rôle spirituel, en offrant la possibilité de célébrer la Vie sous ses formes infinies.
Les rituels existent sous mille et une formes et couleurs : de la messe solennelle catholique aux célébrations fl amboyantes de la ‘Gay Pride’ ; des rites chamaniques pratiqués par les Indiens Huichol au fi n fond du Mexique aux rituels de bizutage estudiantin bruxellois... Des jeunes fi lles suédoises qui dansent autour d’un mât le soir de la Saint-Jean aux téméraires thaïlandais qui se percent les joues avec des épées pour apporter la bonne fortune pendant le sanglant (mais néanmoins végétarien) festival de Phuket…

De la ‘montagne des dieux’ à nos jours

Les plus anciens ‘actes rituels’ connus remontent à près de 70 000 ans et prendraient leur source dans une grotte sacrée des collines de Tsodilo, au Botswana, connue localement sous le nom de « montagnes des dieux ». Des archéologues ont également découvert des preuves que les êtres humains de l’âge de pierre pratiquaient déjà des offrandes sacrifi cielles à un python de pierre dans les régions d’Afrique australe.
Pendant des millénaires, nos lointains ancêtres développent diverses formes ritueliques pour renforcer leurs liens tribaux et de parenté, indispensables à la survie du clan dans un monde empli de dangers potentiels. Ces premiers rituels et cérémonies forment alors une structure qui aide le clan à défi nir sa place dans la Nature et au sein du Monde (parfois même différents mondes). Au fi l des âges, ces divers rites conduisent à l’émergence des premières formes de cultes proto-religieux tels que le totémisme, l’animisme et le paganisme.
Le concept de hiérarchie émerge alors et domine rapidement le monde des Hommes. Les leaders religieux (et les autres) comprennent vite que l’identité communautaire se crée et se consolide à travers l’expérience partagée de rites codifi és. Avec l’émergence des grandes religions, les rituels ancestraux sont absorbés et transformés en de nouvelles formes plus adaptées, mais souvent plus complexes, codées, parfois hermétiques ; ce qui renforce souvent la scission avec le sens originel de la pratique.
De nos jours, de nombreux rites et cérémonies ont ainsi perdu leur sens premier (parfois même leur dimension sacrée alors qu’il s’agit de pratiques religieuses) en devenant davantage l’expression d’une culture communautaire, qu’elle soit locale, nationale ou planétaire.



Rites de passage

Début du XXème siècle, l’ethnologue et folkloriste français Arnold van Gennep [1873- 1957], principalement connu pour son travail concernant les ‘rites de passage’ (et pour son monumental et inachevé « Manuel de folklore français contemporain »), observe que toutes les cultures, quels que soient le lieu et l’époque, ont prescrit des moyens de faire face à des situations chargées d’émotions, notamment lors des grandes étapes de la vie. Diverses formes de ‘rites de passage’ ont donc naturellement émergé pour aider les individus, mais aussi leur famille, amis ou communauté, à canaliser ces émotions et marquer symboliquement la transition, le ‘passage’, d’une phase de vie à une autre. La plupart des cultures considèrent que les transitions les plus importantes sont la venue au monde, le début de la puberté, le mariage, les maladies graves (ou blessures mettant la vie en danger) et enfi n la mort. L’obtention d’un diplôme, le divorce et la retraite sont également des transitions majeures reconnues dans les sociétés modernes.
Les formes que ces ‘rites de passage’ prennent sont fascinantes car elles refl ètent la diversité de l’expérience humaine. Ce qui semble tout à fait normal à une culture peut paraître tout à fait bizarre, voire défendu, à une autre.
Imaginons obliger notre fi ls de 13 ans à porter des gants remplis de centaines de ‘fourmis à dard’ (et très en colère) pendant 10 minutes… Nous serions incompris et rapidement arrêtés pour maltraitance d’enfants. Mais pour la tribu Satere-Mawe d’Amazonie, cela marque un important rituel de passage à l’âge adulte que personne ne remet en question.
Autre exemple : les parents de la tribu amérindienne des Luiseño, en Californie du Sud, font la fête et annoncent joyeusement à toute la communauté quand leurs fi lles — fi ères de leur nouveau statut — commencent à menstruer et deviennent des femmes. Alors que pour la plupart des autres jeunes fi lles du monde, ce type d’annonce publique serait considéré comme embarrassant, voire humiliant...



Pourtant, quelles que soient les cultures où ils sont pratiqués, les ‘rites de passage’ liés à la puberté sont reconnus comme particulièrement puissants pour créer ou renforcer une identité, car ils marquent un changement de statut, une transition nette de l’enfance vers l’âge adulte.

Avec les rituels de passage, il y a clairement un avant et un après. Et plus l’expérience est intense, plus le lien créé est important — c’est pourquoi les anthropologues ont observé que le partage de rites de passage et rites d’initiation renforçait considérablement les liens familiaux et/ou communautaires.

Les trois étapes des rites

Dans son livre-phare — « Les Rites de Passage » (1909) — Arnold van Gennep soutient que, traditionnellement, ces derniers se composent de 3 étapes rituelles :
1- la séparation : dans laquelle le participant ou futur initié est symboliquement (parfois physiquement) éloigné du monde auquel il a appartenu. Les rites de séparation impliquent souvent des actions symboliques comme la mise à nu ou le séjour dans un lieu inconnu. Après le rite de séparation, l’initié est à l’entrée de ce que van Gennep appelle le « monde liminal » (dérivé du latin « limin » : seuil).
2- la transition : étape dans laquelle l’individu entre dans le « monde liminal », une sorte de ‘non-lieu’ et de ‘non-temps’ autant social que spirituel. Au cours de cette phase, l’individu est généralement informé des responsabilités liées à son nouveau rôle. Dans cet ‘entre-monde’, le futur initié est souvent considéré comme étant en danger (pour lui-même ou les autres). Pour ‘protéger le candidat dans cette phase ‘instable’, un parrain ou un gardien lui est parfois attribué.
3- la réincorporation: étape fi nale dans laquelle ‘celui qui est passé’ est confi rmé dans son nouveau statut. Il a, pour ainsi dire, franchi le seuil et est revenu. Ces rites de réincorporation peuvent inclure diverses actions symboliques ou investir l’individu de nouveaux pouvoirs, vêtements, accessoires, tatouages, etc. Ces marques d’identité annoncent publiquement que l’individu appartient au nouveau groupe ou statut.

Les rituels « perso »

Alors que les rituels partagés collectivement procurent souvent un puissant sentiment d’appartenance communautaire, cela peut également être vrai pour les rituels personnels, vécus en solitaire, quand ils intègrent une dimension de ‘reliance’, qu’elle soit spirituelle… ou sportive !
Les rituels personnels peuvent aussi devenir les symboles de nouvelles résolutions. Ils nous aident, par exemple, à renforcer un choix ou un engagement vers une nouvelle direction de vie, célébrer une étape décisive, l’atteinte d’un objectif ou encore offrir un support spirituel pour revenir au calme de la Présence-que-nous-sommes…
Dans nos sociétés qui semblent de plus en plus fragmentées, le besoin d’élaborer des rituels personnels est plus grand que jamais puisque leur pratique aide à créer du sens, des liens et donc à défragmenter, réunifi er. Comme le souligne l’auteur australien Dally Messenger1 dans son ouvrage « Ceremonies and Celebrations » (non traduit) : « Bien que l’on se soit éloigné des cérémonies religieuses d’autrefois, les individus d’aujourd’hui ont plus que jamais besoin de rituels pour sortir de la course effrénée et marquer les moments importants de leur vie. »
Nous pouvons ainsi créer nos propres petits rituels, les adapter à notre sensibilité unique et à nos aspirations intimes, que cela soit pour passer une bonne nuit de sommeil, atteindre de nouveaux objectifs professionnels ou pour créer un cadre à des pratiques spirituelles. Evidemment, comme notre cerveau a besoin de temps et de répétition pour créer de nouvelles connexions neuronales en accord avec nos nouveaux choix, plus le rituel sera répété en conscience, plus son empreinte fera son oeuvre.
Bref, créer nos propres rituels développe de la profondeur dans nos existences, tout en offrant un espace d’enracinement et de fertilité aux graines que représentent nos intentions et aspirations.



Rituels pour la Terre

Dans « Écopsychologie pratique et rituels pour la Terre » (voir références), Joanna Macy souligne combien il est nécessaire de changer de cap, de créer de nouveaux récits et rituels si nous voulons prendre part à la guérison du monde. La pratique du ‘Travail qui Relie’ et des rituels pour la Terre, désormais au coeur de la transition, font l’objet d’ateliers animés par Joanna Macy depuis plus de 40 ans, ainsi que de nombreux facilitateurs dans divers pays. Ils y proposent un espace pour développer les racines de notre résilience intérieure et ressentir notre profonde reliance à la Nature, dans un sentiment de gratitude à son égard, mais en nous autorisant aussi à ressentir notre douleur face à son exploitation, à sa disparition et même à « honorer notre peine pour le monde ». L’engagement à défendre notre Terre en découle tout naturellement, non dans l’énergie de la colère ou du désespoir, mais dans l’énergie inclusive et aimante de la Vie elle-même.
Pamela Montgomery, auteure et fondatrice du ‘Partner Earth Education Center’ (USA), insiste quant à elle sur le fait que « le rituel pour la Terre est un acte conscient de connexion à la vaste toile de la vie. Alors que nous y exprimons toute notre gratitude, nous entrons dans une profonde communion qui mène à l’Union avec la Conscience de la Nature, qui se révèle être notre propre Conscience. »



Finalement, des rites chamaniques des Indiens Huichol en passant par celui des ‘fourmis en colère’ des Satere-Mawe d’Amazonie, des petites cérémonies discrètes aux grandes célébrations publiques, en passant par les rituels personnels, méditatifs et ceux qui participent à la guérison du monde, il semble évident que toutes ces formes et actes symboliques représentent une expression fondamentale de l’être humain, tant au niveau individuel que collectif. En ce sens, ces ‘anciens rituels du futur’ et d’autres (encore à inventer) ont plus que jamais leur place dans nos vies bousculées, en réponse à une humanité en détresse qui appelle de ses voeux au renouveau spirituel et à la transition planétaire.


Olivier Desurmont

RÉFÉRENCES :
« Les rites de passage - Etude systématique des rites » d’Arnold van Gennep chez Picard
- « Rites, rituels » de Dominique Picard, dans « Vocabulaire de psychosociologie » chez Eres
- « Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre » de Joanna Macy & Molly Y. Brown aux Ed. Le Souffl e d’Or
- l’article d’Alison Bone sur sbs.com.au.



Paru dans l'Agenda Plus N° 316 de Avril 2020
Retour