Les Pouvoirs de la Parole
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Les Pouvoirs de la Parole



Avec les paroles, nous communiquons et nous nous exprimons. Elles sont nos émissaires, nos porteuses de présence, nos initiatrices... Certaines paroles peuvent changer le cours d’une vie. Ainsi, Aude, 46 ans, peintre et professeure de peinture à l’académie, raconte qu’à 8 ans, son institutrice, regardant un dessin qu’elle avait fait, lui avait dit : « Aude, c’est beau, tu es très douée ». Et Aude l’avait cru, elle qui vivait dans une famille où l’art était absent. Aude est revenue à cette parole tout au long de sa vie dans le combat qu’elle a mené pour faire ce qu’elle aimait. La parole de l’institutrice a exprimé une confiance en Aude, elle aurait pu exprimer une critique qui aurait alors modifié, ou du moins retardé l’accès d’Aude à sa vocation de peintre.



La parole crée. On le voit de façon flagrante lorsqu’on est formateur, professeur, pédagogue. Francine, 58 ans, formatrice en français pour un public adulte en recherche d’emploi : «Si j’évalue le travail d’un stagiaire par des paroles valorisantes, je constate que ça fait toujours de l’effet. Dans les semaines qui viennent, son français s’améliore parce qu’il croit en lui».
La parole est créatrice de croyances chez autrui, d’attitudes, de façons d’agir, de se représenter, d’avoir confiance en soi, d’entrer en relation...

Inconséquences...

Dès lors, il est essentiel de prendre soin de ce qui sort de nos bouches. Car nous sommes responsables des effets d’une parole inconséquente. C’est vite fait de blesser quelqu’un. Vite fait de faire les mêmes plaisanteries à son égard. Certains groupes sont malheureusement passé experts dans cette pratique. Balayons cela : les consensus mous ou mauvais. Oh, ce n’est pas méchant. Certes, non. Mais ça fige. Ça emprisonne. Tournons le dos, disons « non ». Non à la parole acérée, non à la critique vaine, non à la parole qui stigmatise.
De même pour les paroles laides : les paroles discourtoises, les injures et les stéréotypes gras.

Une vigilance de tous les instants

« Que ta parole soit impeccable », premier accord toltèque de Miguel Ruiz est d’une simplicité désarmante dans son énoncé. Il est cependant « le plus difficile à honorer » prévient son auteur. Sans doute parce qu’il requiert une vigilance de tous les instants. Or, les paroles sortent parfois mécaniquement de nos bouches, comme des leçons bien apprises dont l’on connaît le texte par coeur. Ces paroles mécaniques sont dites machinalement, sans présence.

Comme les mains d’un masseur...

Parler sans être présent, parler de façon mécanique, c’est ne pas être conscient de l’autre et donc de la parole qu’on lui adresse. Il y a une façon de dire une parole. La façon dont on la prononce, la façon dont le son se répercute, la façon dont on regarde l’autre en parlant, bref, la façon dont on investit la parole a toute son importance. Ça change la qualité de cette parole.

La présence à sa propre parole permet qu’elle soit reçue par l’autre. Il s’y ouvre. Elle lui fait du bien parce qu’elle vient d’une aire consciente. C’est comme les mains d’un masseur. Certaines sont habitées de présence, le masseur est là, totalement, dans ses mains. Et cela se sent. Il en est de même des paroles que nous prononçons à l’égard d’autrui. C’est en fonction de notre qualité de conscience que la parole sera reçue sans problème.

Juste n’est pas mièvre

Il est important de ne pas confondre une parole juste avec une parole mièvre. Ne pas nuire à autrui par la parole n’est pas synonyme d’acquiescement béat et de « oui, oui, oui » qui s’enchaînent. On peut aussi ne pas acquiescer. On peut refuser, on peut avoir des options différentes de celles de son interlocuteur, des façons opposées de ressentir les choses. Et s’il s’avère que ce soit nécessaire et judicieux, on peut les exprimer.

Exigence n’est pas dureté

Dès que l’on a, dans une situation donnée, davantage de maturité que l’autre, on est appelé à cadrer et à soutenir. Dans nos relations, nous assumons tous, à un certain moment, cette fonction de soutien. On est tout simplement plus sage que l’autre à ce moment-là, on voit la situation de façon plus lucide et détachée. Parfois, il est alors utile de prononcer des paroles qui peuvent être perçues comme exigeantes.

Mais si elles sont justes, si elles sont adéquates, bienveillantes, sans prétention, il est probable qu’elles soient reçues. Car l’interlocuteur sait très bien que ces paroles adéquates formulent tout haut ce qu’il se dit tout bas. Il sait que ces paroles le rendent davantage à lui-même.

Pour quelqu’un...

Une parole juste part d’une personne spécifique et va vers une autre personne spécifique. La communication est tout à fait personnalisée. Face à des personnes différentes, on peut fortement adapter ses propos, les nuancer, leur apporter des éclairages différents en fonction de l’interlocuteur. Tout simplement parce que l’on parle à quelqu’un. C’est cela qui fait dire à Lacan que « le langage, avant de signifier quelque chose, signifie pour quelqu’un ».
Il arrive que l’on fasse du bien à autrui car on a exprimé une parole douce à son encontre. Et de même, il est doux de recevoir une parole attentionnée.

Et il arrive aussi que l’on blesse autrui sans s’en apercevoir. Comme il arrive qu’autrui nous blesse sans le savoir.
Une parole est aussi puissante qu’une caresse ou qu’une gifle. Pas moins. Sachons-le, prenons- en conscience quand nous nous exprimons. Aucune parole n’est vide. Aucune parole n’est sans effet. Car les mots sont des énergies qui s’incarnent et qui ont toujours des conséquences.
Si on tient réellement compte de la personne en face de nous, si on la sait unique, si on la respecte totalement dans son intégrité, alors on lui donne un statut d’interlocuteur. Elle existe pour nous, dans notre regard, et elle le sait, elle le sent. La parole que nous lui donnons a du poids et est reçue. Nous en sommes responsables.

La parole juste écoute...

La souffrance, c’est de se trouver en situation où l’on est nié dans son existence. La parole de l’autre ne s’adresse pas à quelqu’un. Elle est vide. Elle tourne sur elle-même comme un tourbillon fou. Ou elle déferle et bouche tout l’espace. La parole de l’autre ne laisse pas la place. La parole de l’autre n’écoute pas.
Une parole juste écoute. Elle donne de l’espace. Il y a des blancs. Il y a des ouvertures. Il y a du silence. Il y a de la place pour l’interlocuteur. Avec cet espace, lui est donné l’occasion de s’exprimer.

Du débit et des différences

Certaines personnes peuvent parler très rapidement. Or, il est important d’être conscient de son rythme de parole. D’accepter les rythmes plus lents. De répéter ses propos pour qu’ils soient bien compris. Ou de tenter de ralentir son débit, en effectuant des pauses. Car la pause est toujours bienfaisante, elle repose l’esprit des personnes en présence. Elle permet l’écoute.

Chacun a évidemment un rapport différent à la parole. Certaines personnes ont le don de la verve et les écouter peut devenir un régal car ceux-là font chanter la parole. Et d’autres sont moins expressives. Leurs paroles, plus rares, sont d’autant plus précieuses.

Sortir du maelstrom

Quoiqu’il en soit, que la parole soit vive ou lente, le fait que nous en soyons dotés reste époustouflant.
Mais oui, c’est absolument époustouflant d’avoir la faculté de la parole.
Car la parole nous tire de l’inconscience. Par la parole, nous sortons du maelstrom.

Nous ne pataugeons plus. Nous attrapons des os intérieurs. Une charpente nous est donnée. Nous émergeons. Nous pouvons mettre en mots l’informe de notre intériorité et lui donner forme. « ... la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation ... ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot », dit Hegel. Oui, nous donnons forme à qui nous sommes. Nous nous rendons conscients. Nous pouvons mettre en mots ce que nous percevons, éprouvons, pensons. Nous nous créons.



Appropriation

Par la parole, nous communiquons. Ce qui nous guide, le savons-nous ? Est-ce le désir vers autrui ? Est-ce une pensée qui s’exprime ? Ou sont-ce des émotions et des affects qui mènent la danse ? Ou le passé et son poids ? Tout cela à la fois, sans doute. Aussi est-il urgent d’entraîner la parole à tenter de mettre en forme le sujet que nous sommes. Et donc d’y porter attention, discernement, conscience, travail. Travail de précision. Par la parole, l’homme sans cesse se découvre luimême. Et les mots demandent à être respectés. C’est un travail en finesse et en nuances que de s’approprier les mots. D’en faire des mots qui soient nôtres. D’en faire des mots qui aient réellement sens pour nous, et donc pour autrui.

Dans ...

Par la parole, un pont se crée entre soi et autrui. Et il est porteur, ce pont. Car ses piliers s’enracinent aux origines. Tout à fait à l’intérieur. C’est là que prend tout son sens, dans sa force mystérieuse, le «Au commencement était le Verbe »...
Nous ne proférons pas seulement des paroles, nous ne sommes pas seulement en train de nous exprimer. Nous sommes aussi dans la parole. Dire une parole, c’est de l’ordre d’un petit miracle.
Et peu à peu, nous devenons vigilants. L’on ressent un peu le lieu d’où ça vient. Le lieu d’où la parole naît. Le lieu du mystère. Il est là. Il est en nous.
De ce lieu originel coulent des vibrations qui s’expriment en sons et en paroles. Chaque fois que l’on parle, on laisse les vibrations de ce lieu sacré s’exprimer à travers nous. On devient sanctuaire. D’où la nécessité d’ouvrir ses oreilles spirituelles.

Nos oreilles intérieures

On exerce l’audition spirituelle en fonction de ses besoins et de sa personnalité. Cela va, pour ne citer que ces exemples évidents, de la pratique de la méditation au chant de mantras en passant par l’écoute de certains morceaux sublimes de musique.
Nos oreilles spirituelles, ce sont nos oreilles intérieures. Dès que l’on part profondément de l’intérieur, on perçoit profondément ce qui est à l’intérieur d’autrui et de toute chose. Exercer ses oreilles intérieures, c’est passer d’une écoute extérieure à une écoute intérieure. Toute parole s’origine en-deçà de nos mobiles, de nos attentes, de nos limitations.
Nous sommes, quand nous parlons, le lieu d’une naissance chaque fois. Il s’agit de l’écouter vibrer. L’écouter de tout son être, corps, coeur, pensées, c’est tout simplement y adhérer. Adhérer à partir de l’intérieur.

Permanente et paisible

Nous exprimons nos pensées par des mots, mais nous ne pensons pas tout le temps. Il y a du silence entre deux pensées. Moult sages et chercheurs spirituels de tout poil le rappellent. Dès qu’on en a pris conscience, ça devient évident. Evident qu’en-dessous des pensées s’étend une nappe de silence. Même si on parle, même si c’est bruyant quelquefois, la nappe de silence reste, permanente, paisible. Une présence sous-jacente, une présence audible. Audible, paradoxalement, par le silence. C’est pour cela qu’il est primordial d’exercer l’audition de l’intérieur.

On peut faire l’expérience de ce silence qui s’étend comme une nappe. Mais seulement par moments. Comme toute expérience, elle devient vraiment porteuse de changements si elle est intégrée. Alors, la qualité des paroles que nous prononçons dans nos relations, la qualité de notre silence et notre qualité de présence sont de plus en plus étroitement reliés.

Intersection

Les paroles ont une parenté étroite avec le silence. Elles lui sont liées. En nous existe cette aire d’intersection entre le visible et l’invisible. Les paroles témoignent de ce lieu. Du reste, ne sommes-nous pas nous-mêmes, dans notre humanité, intersection entre le visible et l’invisible ?

Ce lieu est lieu de rendez-vous possible.
Et si on est au rendez-vous, ça donne la parole qui s’émerveille....
La parole de gratitude.... La parole qui joue....
La parole d’amour..... La parole de bonté.....
La parole au silence couplé...

Marie-Andrée Delhamende



Paru dans l'Agenda Plus N° 277 de Mai 2016
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