Placebo : frontière ou pont entre deux mondes ?
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Placebo : frontière ou pont entre deux mondes ?



Sans doute aussi vieux que l’humanité et sa quête de santé, l’effet placebo fait partie de ces concepts dont l’évidence d’existence et d’action n’a d’égale que la difficulté à les définir et les circonscrire. Entre irritation et fascination, il titille la science biomédicale actuelle et la pousse dans deux de ses retranchements majeurs : l’acceptation de ses limites et la remise en question de sa domination….



Quel adepte d’une médecine dite « alternative » ou « parallèle » telle que l’homéopathie ou les Fleurs de Bach ne s’est pas entendu dire un jour, d’un air sceptique « il n’y a rien làdedans, c’est juste un placebo ! Si tu obtiens des résultats, c’est parce que tu y crois, c’est tout ! ». Cet échange « ironico-sceptique » appelle à lui seul les principales interrogations concernant le « placebo » ou « l’effet placebo » : comment le définir exactement et estce même possible ? Qui sont ces « personnes crédules », victimes de dispensateurs de « poudre de perlimpimpin » ? Faut-il « croire » à l’effet placebo pour l’expérimenter ? Cette histoire de placebo concerne-t’elle aussi la science biomédicale actuelle ?

Au commencement était le verbe…

Dérivant du verbe latin « placere = plaire » et signifiant « je plairai », le terme « placebo » est retrouvé au Moyen-Âge dans la littérature liturgique, plus précisément dans une prière pour les morts. A l’époque, les parents d’un défunt se devaient d’assister à des vêpres régulières au cours desquelles ils chantaient cette prière. Progressivement, les familles eurent recours à des « pleureurs professionnels » chargés d’aller « chanter placebo » à leur place et donc payés pour ce service. L’opprobre jeté sur ces personnes qui osaient gagner leur vie « sur le dos des morts » se généralisa bientôt au terme placebo qui devint synonyme « d’opportuniste qui se fait passer pour la personne véritable, mais n’en sera jamais qu’un succédané ». C’est au 19ème siècle que le terme placebo prend une signification médicale pour désigner « une préparation de succédané médical (…) administré pour faire plaisir au patient ou à ses proches », reprenant aussi à son compte le caractère péjoratif puisqu’on ne tarda pas à lui opposer, pour désigner un remède cette fois réellement efficace, le terme de « verum ». Bien qu’ayant été prescrit jusqu’alors de manière courante et acceptée par le médecin, le placebo acquit donc un caractère sulfureux et plus que dénigré, savamment entretenu et amalgamé avec la notion de remède traditionnel. La machinerie de médicalisation « scientifico-matérialiste » du 20ème siècle rejetait donc dans l’ombre les remèdes « à l’efficacité scientifique non prouvée » voire carrément absente pour mieux mettre en lumière son rigorisme et sa fiabilité.
La définition classique du placebo proposée par le couple d’historiens de la médecine Arthur et Elaine Shapiro devint donc : « Est un placebo tout traitement (incluant médicaments, chirurgie, psychothérapie et thérapie charlatanesque) utilisé pour son effet d’amélioration sur un symptôme ou une maladie, qui se trouve être en réalité inefficace ou qui n’est pas spécifiquement efficace pour la condition traitée ».

Non pas un mais DES effets placebo

Dans la pratique, définir le placebo et l’effet qui l’induit est très complexe car il existe en réalité une multiplicité de formes de placebo et tout autant d’effets. Un placebo peut ainsi avoir une forme bien physique (telle qu’un comprimé de sucre, une injection d’eau salée, …), mais aussi consister en un acte thérapeutique ou en une simple attitude ou parole du médecin envers le patient. Une même substance peut être médicament pour une maladie (par exemple un antibiotique pour une angine à streptoccoques) et un placebo pour une autre (le même antibiotique pour une angine virale par exemple, sur laquelle il n’a pas d’effet spécifique). Une même substance peut aussi être un placebo pendant un temps donné : par exemple une aspirine dont il est admis qu’elle ne peut pas être tenue responsable d’un effet d’apaisement de la douleur dans les 15 minutes qui suivent sa prise…minutes pendant lesquelles nombre de patients semblent pour autant déjà ressentir un soulagement ! Si l’on comprend la notion centrale d’effet scientifiquement non prouvé pour la pathologie visée et surtout d’attente positive du patient face à cette substance placebo, on retient donc l’essentiel de ce qui fait le placebo, mais on n’en définit pas pour autant facilement toutes les déclinaisons possibles !

Docteur Placebo et Mister Nocebo

Chaque médaille ayant son revers, l’effet obtenu suite à l’ingestion d’une substance inactive peut aussi s’avérer négatif si les attentes du patient le concernant le sont aussi. On désigne ainsi sous le nom « d’effet Nocebo » (provenant du latin « nocere » qui signifie « nuire, faire du tort ») ces effets négatifs. Défini pour la première fois en 1961, il désigne « la survenue d’une maladie ou de la mort causée par l’attente de la maladie (ou de la mort) et par les états émotionnels qui y sont associés ». Un des exemples les plus frappants est le phénomène de « mort vaudou » dans lequel un individu en pleine santé peut mourir en quelques jours, persuadé d’avoir reçu un mauvais sort ! Moins extrême mais non moins problématique (puisque 79 % des étudiants en médecine seraient touchés au cours de leurs études), est la « maladie de l’étudiant en médecine (alias MSD ou « medstudentitis ») dont les étudiants s’imaginent atteints lorsqu’ils étudient une maladie. Cet effet nocebo peut bien sûr être associé aussi à un médicament actif dont l’efficacité se verra dès lors diminuée ou les effets secondaires augmentés, pour peu que le patient éprouve à son égard de la méfiance ! L’utilisation de l’effet placebo et l’estimation de l’effet nocebo d’une substance inactive et la part de son intervention dans un « vrai médicament » est donc importante à évaluer ou du moins à considérer !



Quid du placebo en médecine alors ?

Grain de sable très contrariant dans les engrenages apparemment bien huilés de la médecine scientifique moderne, l’effet placebo n’en reste pas moins incontestable… alors autant tenter de le mesurer pour au mieux l’utiliser, au pire le minimiser face à l’efficacité du principe actif d’un médicament. Car… oui, s’il constitue 100 % d’une substance qui serait administrée « juste pour faire plaisir au patient », cet effet placebo est aussi une partie intégrante de tout médicament. Pour l’évaluer, on a coutume de comparer les résultats obtenus pour une maladie particulière avec un « vrai » médicament (contenant donc un principe actif comme par exemple une molécule atténuant la douleur telle que la morphine) et ceux obtenus pour un groupe témoin à qui l’on fait donc croire qu’ils reçoivent le médicament actif alors qu’ils reçoivent en réalité un placebo mimant le médicament. Cette procédure complétée du fait que les patients et les médecins soient tous deux ignorants de la façon dont sont distribués les médicaments et les placebos s’est d’ailleurs généralisée sous le nom de « procédure en double aveugle médicament contre placebo ». Il s’agit aujourd’hui de la méthode dominante pour estimer l’efficacité d’un médicament liée à sa molécule active. Ceci se basant sur l’évaluation des paramètres qui participent à l’amélioration d’un patient, soit le taux de guérison spontanée, l’effet placebo et, enfin, l’effet du principe actif. En séparant les patients en un groupe non traité (estimation du taux de guérison spontanée), un groupe placebo (estimation de l’effet placebo) et un groupe recevant le vrai médicament, on peut ainsi, en soustrayant les résultats des deux premiers groupes, estimer le pourcentage d’efficacité lié au principe actif. Un médicament ne pourra être mis sur le marché que si son efficacité se trouve supérieure à celle d’un placebo. Elément dénigré face à la supériorité vantée des « vrais médicaments », le placebo leur est donc pourtant utile, voire indispensable comme élément de comparaison ! Et surtout, c’est le médicament qui constituerait un « placebo-plus » et certainement pas le placebo qui serait un « médicament-moins » !



Le domaine de l’étude de la douleur est celui dans lequel de telles procédures sont les plus courantes. Un survol des études réalisées montre qu’en moyenne 30 % des effets des médicaments sont attribuables à l’effet placebo. Les chiffres montent même jusqu’à 70 % lorsque patients et médecins croient tous deux fermement à l’efficacité du traitement !

Alors faut-il y croire pour l’avoir ?

Eh bien non !!! Si tout semblait indiquer que la croyance de recevoir un vrai médicament était à la base de l’effet placebo, des expériences ont prouvé que, même avertis de la nature placebo de la médication reçue, les patients pouvaient ressentir une amélioration de leur état… donc un effet placebo ! La crédulité ou la suggestibilité du patient ne serait donc pas la clé de l’effet placebo ! Au-delà de cela, il n’y aurait pas non plus de personnalité « placebosensible ». Tout un chacun serait donc à même de ressentir un effet placebo ! Il semblerait néanmoins que les personnes de nature optimiste et développant un « goût pour l’aventure » soit plus à même de développer un effet placebo puissant alors que les personnes pessimistes développeraient plus facilement un effet nocebo. Alors qu’est-ce qui influence la survenue plus ou moins importante de cet effet placebo ?

A bon placebo, grands effets

Plusieurs paramètres ont été identifiés comme influençant l’importance de l’effet placebo. Les attentes du patient et ceci d’autant plus que sa maladie l’affecte gravement, en sont un. La forme du traitement en est un autre. Il est ainsi avéré qu’une injection sera perçue comme plus efficace qu’un comprimé à avaler. La couleur du traitement intervient également, les comprimés verts étant associés à un effet calmant, les rouges à un effet tonifiant, etc… l’influence culturelle à ce sujet est donc manifeste ! L’aspect sécurisant de l’environnement de soins (blancheur de l’hôpital, machines sophistiquées, médecin portant un stéthoscope, etc…) influence aussi la survenue d’un apaisement chez la plupart des patients, même si l’on connaît tous quelqu’un qui ne « supporte pas l’hôpital » ou « le côté zen à outrance d’un cabinet alternatif ». L’expérience de vie du patient et son système de valeur influent donc également !

La clé de voûte : alliance thérapeutique porteuse de sens

Mais bien au-delà de la couleur des pilules, les études réalisées tant en médecine clinique qu’en psychothérapie montrent que l’élément-clé de l’optimisation de l’effet placebo est clairement la qualité de la relation thérapeutique qui s’établit entre le patient et son thérapeute et que l’on peut désigner par « alliance thérapeutique » ! La qualité de l’information donnée par celui-ci, l’assurance avec laquelle il la donne, la confiance sans faille du thérapeute en son traitement, l’espoir qu’il véhicule une amélioration, la chaleur et la sympathie de l’échange… tout cela constitue le socle de base de l’amélioration de la santé du patient. Il est clair que l’on parle ici d’une relation thérapeutique équilibrée, non pas de celle, courante, du médecin/thérapeute tout-puissant face au patient passif ou, au contraire, du patient consumériste « consommant du médecin » comme on s’achète son jouet préféré. Ce dont une personne malade a donc fondamentalement besoin pour aller mieux, c’est d’un thérapeute qui stimule ses capacités d’autoguérison par la qualité de la relation qu’il véhicule, l’adéquation de ses soins aux attentes et au chemin de vie du patient et, n’ayons pas peur des mots, l’Amour qu’il lui porte ! Pour citer Gustave Jung : « Là où l’amour est absent, la puissance s’installe à la place du vide » !



On en revient donc à l’humain que la médecine matérialiste actuelle réduit malheureusement souvent à un « assemblage d’organes ». C’est ce qui explique sans doute aussi le recours grandissant aux thérapies naturelles qui accordent beaucoup plus de place à la qualité de l’alliance thérapeutique et optimisent donc l’effet placebo !

Pour bénéficier de cet effet placebo qui semble inscrit dans notre évolution et révèle à quel point nous avons besoin de l’autre pour aller bien, d’un autre qui nous reconnaît et nous aime dans notre globalité pour nous redonner confiance en notre potentiel d’autoguérison sans lequel il n’y a pas de véritable guérison, je vous invite donc à quitter les définitions qui séparent pour choisir une forme de soins où savoir, savoir-faire et surtout savoir-être sont au rendez-vous ! Car comme le disait déjà du patient Paraclese (1493-1541, médecin suisse) : « Peu importe si c’est Dieu ou le Diable, des anges ou des esprits impurs qui le soignent, pourvu qu’il soit soulagé ! »

Charline Nocart

POUR EN SAVOIR PLUS :
• Les fabuleux pouvoirs de l’effet placebo, guérison et auto-guérison, de Mireille Rosselet-Capt, Editions Jouvence
• Le mystère du placebo, de Patrick Lemoine, Editions Odile Jacob
• Le mystère du nocebo, de Patrick Lemoine, Editions Odile Jacob



Paru dans l'Agenda Plus N° 278 de Juin 2016
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